Les conseils locaux, régionaux et de district : symbole d’un pouvoir sans contrepoids

Alors que la Tunisie vit une profonde régression démocratique, la promulgation de la loi organique n°4/2025 vient donner un semblant de légitimité à des institutions vides de contenu. Les conseils locaux, régionaux et de district mis en place sous l’égide de Kaïs Saïed incarnent moins une avancée vers la démocratie participative qu’une nouvelle illustration de la verticalité autoritaire du régime.

Une réforme conçue pour neutraliser les contre-pouvoirs

Après un retard de plus de deux ans, la loi organique n°4/2025 du 12 mars 2025 est enfin promulguée et publiée au Journal officiel de la République tunisienne. Il s’agit d’une création du président Kaïs Saïed, fruit de sa propre Constitution adoptée en 2022, destinée à concrétiser sa vague théorie de la « construction par le bas ». Un projet présenté comme émancipateur, mais qui vise en réalité à anéantir les corps intermédiaires, notamment les partis politiques. Le mode de scrutin centré sur les individus et la division territoriale étroite des circonscriptions ont pour effet mécanique d’empêcher toute dynamique collective. Résultat : une Assemblée des représentants du peuple, des conseils locaux, régionaux, et un Conseil national des régions et des districts affaiblis, incapables de s’opposer à l’autorité présidentielle.

Des institutions sorties du chapeau présidentiel

À l’image de la Constitution de 2022, ces institutions n’ont fait l’objet d’aucun débat public, ni académique ni institutionnel. Leur composition, leurs missions, leurs règles de fonctionnement n’ont jamais été clarifiées. Le texte fondamental réserve une section au Conseil national des régions et des districts avec quelques éléments sur sa composition et les projets de textes à lui soumettre, mais aucun cadre juridique n’est donné pour les conseils locaux, régionaux ou de district. On navigue dans une improvisation totale.

Des élections absurdes pour des conseils indéfinis

L’anarchie juridique étant devenue la norme, des élections ont été organisées pour ces conseils non définis. L’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) a même tenté d’attribuer des rôles à ces organes avant de se rétracter, faute de base légale. Des citoyens ont candidaté, défendu des programmes, sans savoir quelles seraient leurs attributions, ni même à quel conseil ils appartiendraient, puisqu’une partie des représentants est désignée par tirage au sort. Les électeurs, de leur côté, ont voté à l’aveugle. Le taux d’abstention a atteint des records mondiaux. Dans certaines circonscriptions, aucun candidat ne s’est présenté – une décision, somme toute, rationnelle.

Des élus réduits à des agents de campagne présidentielle

Une fois élus, les membres de ces conseils n’ont pas brillé par leur indépendance. Leurs frictions avec les délégués et gouverneurs ont alimenté les réseaux sociaux. Surtout, ils se sont mobilisés lors de l’élection présidentielle pour collecter des parrainages en faveur de Kaïs Saïed, assumant le rôle de relais d’un pouvoir qui prétend précisément abolir les relais.

Une indépendance juridique de façade

Ce n’est qu’en 2025 que la loi organique a conféré un statut juridique à ces conseils. Son article 1er leur reconnaît la qualité de collectivités publiques dotées d’une indépendance administrative et financière. Mais cette reconnaissance arrive dans un contexte où les conseils municipaux élus ont été dissous sans renouvellement et où l’on annonce la fin des élections municipales. La base populaire est désormais entre les mains de l’administration nommée.

Des compétences floues et un texte sans portée effective

Sur le fond, la loi organique reste un modèle d’ambiguïté. Le deuxième alinéa de l’article 1 indique que les conseils doivent œuvrer à « l’intégration économique et sociale globale et équitable » et débattre des projets de plans. Une formulation floue, sans aucun moyen ou mécanisme précisé. L’article 5 renvoie à une future loi organique sur les budgets. Encore un texte fantôme.

Une autonomie budgétaire fictive

L’indépendance affichée à l’article 1 est largement contredite par l’article 2, qui introduit une logique d’« accompagnement » de l’administration, c’est-à-dire de tutelle. L’article 9 révèle l’intention réelle du législateur : au lieu de transférer les biens des anciens conseils régionaux aux nouveaux, ceux-ci sont remis à l’État, via le gouverneur.

Permissions, indemnités et décrets : les détails logistiques

L’article 6 de la loi prévoit que les membres des conseils peuvent demander à leur employeur une permission pour assister aux réunions et formations, moyennant un préavis de trois jours. Ils ne peuvent être sanctionnés pour absence dans ce cas, ni pénalisés dans leur carrière.

Jetons de présence, instabilité et dépendance au ministère de l’Intérieur

Le 4 avril 2025, deux décrets sont venus compléter la loi :

  • Le décret n°177, qui organise les travaux des conseils en sept articles, très succincts. Il impose un secrétariat tournant, signe de l’instabilité structurelle de ces organes.
  • Le décret n°178, qui fixe des indemnités de présence : 200 dinars par séance (plafonné à 800 dinars par mois), 300 dinars pour les personnes handicapées (plafonné à 1 200 dinars).

Ces allocations rappellent les jetons de présence des sociétés anonymes. Elles sont financées par le ministère de l’Intérieur, alors même que la loi parle d’autonomie financière. Pire : cette dépense ne figure même pas dans le budget 2025, mais entre en application immédiate !

Une ingénierie populiste déconnectée du réel

Cette loi organique, courte mais incohérente, n’a pour fonction que d’accréditer le discours populiste du régime. Sur le terrain, ces conseils n’ont ni outils, ni mandat clair, ni légitimité populaire. Le parallèle avec le Conseil économique et social de l’ère Ben Ali est tentant, sauf que ce dernier comptait parfois des profils compétents. Ici, le niveau est d’une indigence criante.

Les organes d’une absurdité institutionnelle

Sans mission effective, sans cadre juridique solide, ces conseils ne relèvent d’aucune branche du pouvoir. Ils n’ont de compétences ni législatives, ni exécutives, ni même véritablement consultatives . Dépourvus d’experts, de moyens, d’écoute, ils ne sont que les symboles spectaculaires de l’absurdité d’un régime qui instrumentalise les formes institutionnelles pour masquer le vide démocratique.

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