Introduction
Dans le cadre du cycle de conférences Liqaaet, qui alterne discussions économiques, politiques et institutionnelles, la question de l’économie de rente en Tunisie occupe une place centrale. Avec la participation de l’association ALERT (Association de Lutte contre l’Économie de Rente en Tunisie), cette conférence a visé à définir la notion de rente, analyser ses manifestations en Tunisie et proposer des pistes pour sortir de ce système pernicieux. Cette conférence a permis de mettre en lumière un problème majeur qui entrave le développement économique du pays et creuse les inégalités sociales.
L’économie de rente : un concept au cœur du débat
L’économie de rente repose sur un principe simple : un revenu est obtenu sans travail ni production, mais grâce à l’accaparement d’opportunités au détriment des autres. Elle se traduit par des privilèges octroyés à une minorité qui verrouille l’accès à certains secteurs économiques.
En Tunisie, ce phénomène s’inscrit dans une organisation corporatiste bien ancrée. Chaque secteur est réglementé par un conseil composé de représentants professionnels et administratifs qui fixent les règles d’entrée sur le marché, les prix et la fiscalité. Ce système empêche la concurrence et entrave l’innovation.
Un exemple emblématique est celui des chéchias tunisiennes. Au XIXe siècle, la Tunisie dominait ce marché, fournissant les deux tiers des importations égyptiennes. Cependant, les producteurs tunisiens ont été interdits d’industrialiser leur production. Résultat : face à la modernisation étrangère, les exportations tunisiennes ont chuté de 95 % en cinq ans et les prix ont explosé.
Les impacts de l’économie de rente en Tunisie
L’économie de rente tue l’innovation et empêche la croissance. Un système fondé sur la rente repose sur le partage d’un « gâteau figé », partagé entre les mêmes acteurs au lieu d’être réinvesti pour générer de nouvelles opportunités.
Le secteur agricole illustre bien ce blocage. Les agriculteurs doivent passer par des marchés de gros auxquels seuls des transporteurs syndiqués ont le droit d’accès. Ces transporteurs ont négocié une taxe de 2 à 6 % sur la marchandise, mais emploient en réalité des travailleurs au noir sous-payés. Ce système pénalise les agriculteurs, les consommateurs et les travailleurs précaires, tandis que le syndicat en tire profit. Par conséquent, moins de 5 % des marchandises passent par les marchés officiels, ce qui favorise le marché noir et la spéculation.
Économie de rente et pouvoir politique
Un système économique extractif est indissociable d’un pouvoir politique fermé. L’économie de rente prospère quand un petit groupe détient le pouvoir et réprime toute concurrence économique ou politique.
La révolution de 2011 en Tunisie était motivée par des revendications sociales et économiques, notamment l’emploi et la justice sociale. Cependant, l’absence de réformes structurelles a permis une continuité du système de rente.
Un exemple de cette imbrication entre politique et économie extractive est celui d’un ancien directeur de la Banque centrale de Tunisie. Lorsqu’il a publié un commentaire critiquant la libéralisation voulue par Ben Ali, il a subi une répression immédiate : les banques publiques ont retiré leurs fonds de la Banque centrale, ses collaborateurs ont été menacés et ont dû démissionner. Cet épisode illustre comment un système politique autoritaire ne peut engendrer qu’une économie fermée et alimente le mécontentement populaire.
Comment lutter contre l’économie de rente ?
L’objectif d’ALERT et du cycle Liqaaet est de replacer l’intérêt général au cœur du débat. Il s’agit de briser les cloisons entre les secteurs corporatistes et de promouvoir un modèle économique inclusif.
Dans un contexte de régression politique, se mobiliser pour la liberté économique devient un défi. Il faut sensibiliser les citoyens sur l’impact direct de la rente sur leur quotidien : cherté de la vie, absence d’opportunités et stagnation économique. Il s’agit d’impliquer la population et de renforcer les contre-pouvoirs.
La conférence a ainsi mis en avant plusieurs pistes pour lutter contre l’économie de rente : promouvoir la transparence et la concurrence, encourager l’innovation et soutenir les jeunes entrepreneurs, renforcer les institutions et lutter contre la corruption, recentrer le débat sur l’intérêt général, casser les murs entre les secteurs économiques et mener des actions politiques reposant sur des fondements économiques.
Le CRLDHT souligne que l’économie de rente en Tunisie ne fait qu’accentuer les inégalités et freiner toute dynamique démocratique. Tant que ce système perdurera, les droits économiques et politiques resteront confisqués par une minorité. Il est urgent d’engager des réformes structurelles pour mettre fin à ce système et rétablir l’égalité des chances pour toutes et tous.