La peur se réinstalle en Tunisie

Il est bien loin ce 14 janvier 2011, lorsque les Tunisiens se sont sentis libres. Débarrassés d’un régime qui les oppressait, ils avaient vu venir à eux le moment d’écrire leur histoire, et de prendre en mains leur destin.

Quatorze ans plus tard, ce 14 janvier 2025, il n’est plus question de commémoration, d’ailleurs Kaïs Saïed, le nouveau maître du pays a remplacé cette date anniversaire de la révolution par le 17 décembre, jour de l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi et point de départ des soulèvements dans tout le pays. Ce n’est pas le seul changement opéré par celui qui a été démocratiquement élu pour un premier mandat en octobre 2019, avec 72% des voix exprimées. Après son coup de force du 25 juillet 2021, Saïed a méthodiquement détricoté tous les acquis de la transition, s’en prenant aux institutions, aux corps intermédiaires, asservissant la justice, et traquant les opposants en les accusant de “complot contre la sûreté de l’Etat et de “collusion avec les puissances étrangères”.

Après s’être octroyé la totalité des pouvoirs, avec l’appui des forces de sécurité et la bienveillance de l’armée, Saïed avait le souci de consolider sa légitimité par une large victoire pour un second mandat présidentiel. Grâce à une mainmise sur l’ISIE, l’instance supérieure indépendante pour les élections, créée après la révolution, ses principaux rivaux ont été écartés et Kaïs Saïed était réélu avec plus de 90% des voix le 6 octobre dernier. Mais la victoire affichée doit être relativisée, car le taux de participation est bien plus faible qu’en 2019, chutant de 58% à 28%, une participation particulièrement faible auprès des jeunes (18-35 ans) qui ne furent que 6% à voter.

Le mécontentement ne pouvait s’exprimer que par l’abstention, l’élection présidentielle s’étant déroulée sans campagne électorale et sans débat télévisé, il fut impossible de revenir sur le bilan des cinq années au pouvoir du chef de l’Etat. Sans compter le fait que les partis d’opposition sont laminés, leurs responsables souvent emprisonnés, exilés ou contraints au silence.

Les Tunisiens qui constatent un ralentissement net de l’activité économique et observent avec désolation le départ massif pour l’étranger de leurs jeunes, ne peuvent se contenter du discours présidentiel contre les élites,  et contre la corruption en guise de programme politique, et les arrestations arbitraires ne peuvent légitimer ce système politique par la force.

C’est bien pour dénoncer cette dérive autoritaire et cette intensification de la répression,  que Sihem Ben Sedrine a entamé une grève de la faim illimitée, à compter de ce 14 janvier. A 75 ans, et du fond de sa cellule, cette infatigable militante des droits humains, qui s’est opposée sans merci à l’autoritarisme de Ben Ali, et a présidé l’Instance Vérité et Dignité (IVD) de 2014 à 2018, a envoyé un message aux autorités tunisiennes pour, dit-elle,  m’extraire de ce trou noir où l’on m’a arbitrairement jetée”.

Malgré ce climat d’insécurité, la  résistance à cette chape de plomb prend forme pour demander la libération des figures de l’opposition, comme ces manifestants qui ont répondu à l’appel du Front du salut national (FSN), pour se rassembler à Tunis le 14 janvier, ou encore, et de manière bien surprenante, ces onze députés qui ont lancé une initiative appelant à l’ouverture d’un dialogue national et à la libération des prisonniers d’opinion.

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