L’affaire de Moncef Haouaidi, vendeur de figues de barbarie à Tabarka, n’est pas une erreur judiciaire isolée. Elle est le symbole brutal d’un système répressif qui instrumentalise la justice pour faire taire les voix libres, en particulier celles issues des régions marginalisées.
Condamné en première instance à deux ans de prison ferme et à une lourde amende pour une simple publication sur les réseaux sociaux appelant à l’abrogation du décret-loi 54, Moncef Haouaidi a été privé de sa liberté sur la base d’une qualification pénale abusive et délibérément extensible : « atteinte au moral du Président de la République » et diffusion de « fausses informations ».
Une accusation aussi vague que dangereuse, qui criminalise l’opinion, le désaccord politique et l’expression citoyenne.
La décision rendue le 9 décembre 2025 par la Cour d’appel de Jendouba, prononçant le non-lieu et l’annulation pure et simple du jugement, confirme ce que les défenseurs des droits humains dénonçaient depuis le début : Moncef Haouaidi n’aurait jamais dû être poursuivi, encore moins emprisonné.
Mais cette décision, aussi nécessaire soit-elle, ne suffit pas. Car pendant deux ans, un citoyen tunisien a été arbitrairement privé de sa liberté, exposé à la détention, à la dégradation de sa santé, à la stigmatisation sociale, à la précarité économique et à la violence institutionnelle.
Pendant deux ans, la justice a été utilisée comme outil d’intimidation politique, au mépris des principes constitutionnels, des engagements internationaux de la Tunisie et des normes élémentaires d’un procès équitable.
Moncef Haouaidi n’est pas un « criminel ». Il est un militant social et environnemental, connu pour avoir défendu le droit à l’eau, dénoncé la privatisation des ressources naturelles et porté la voix des habitants de sa région. Son parcours est celui d’un homme puni non pour ce qu’il a fait, mais pour ce qu’il a osé dire.
Ce dossier révèle :
- la dérive autoritaire de l’appareil judiciaire,
- l’usage systématique du décret-loi 54 comme arme de censure,
- la discrimination structurelle visant les militants des régions intérieures,
- et l’effondrement des garanties de la liberté d’expression en Tunisie.
L’annulation de la condamnation ne peut effacer le préjudice subi. La justice ne peut se contenter de corriger ses propres abus sans en assumer les conséquences.
Une réparation intégrale, tant matérielle que morale, du préjudice grave résultant de la détention injustifiée de Moncef Haouaidi s’impose. Cette réparation doit s’accompagner d’une reconnaissance officielle du caractère arbitraire des poursuitesengagées à son encontre, afin que la vérité judiciaire soit pleinement rétablie.
La cessation immédiate de toutes les poursuites fondées sur des opinions, des publications ou des actes de protestation pacifique apparaît nécessaire, de même que l’abrogation ou, à tout le moins, une révision en profondeur du décret-loi n°54, devenu un instrument central de restriction des libertés et de criminalisation de l’expression politique et sociale.
Par ailleurs, l’ouverture d’une enquête indépendante, impartiale et transparente sur les conditions de détention de Moncef Haouaidi, ainsi que sur la gestion de sa précédente grève de la faim, s’impose au regard des risques graves encourus pour sa santé et des responsabilités institutionnelles engagées. Enfin, la mise en place de garanties effectives de non-répétition est indispensable afin qu’aucun citoyen ne soit, à l’avenir, privé de sa liberté pour avoir exercé son droit fondamental à la parole, à la critique et à la contestation pacifique.
Car une justice qui emprisonne un innocent puis se corrige sans réparer demeure une justice injuste. Et un État qui persiste à criminaliser la critique pacifique renonce, de fait, à toute prétention à l’État de droit. La liberté retrouvée de Moncef Haouaidi constitue une victoire tardive ; sa réparation pleine et entière sera le véritable test de la justice en Tunisie.