Il était une fois en Tunisie , les élections municipales

La nébuleuse théorie de Kaïs Saïed de la « construction par les bases » aurait pu laisser croire que la démocratie locale, notamment à travers les élections municipales, allait connaître l’essor le plus significatif de l’histoire tunisienne. Il n’en fut rien. L’ère du président Saïed a, au contraire, sonné le glas de ces élections et de cette forme de démocratie de proximité.

Ladite théorie n’est qu’un slogan, et un slogan, pour le président Saïed, reste un slogan : il ne faut pas en attendre davantage — comme celui de « non au retour en arrière ». En réalité, avec Kaïs Saïed, c’est un bond de près de 86 ans en arrière que nous avons opéré. Car si le premier conseil municipal fut créé à Tunis en 1858, les premières élections municipales n’ont eu lieu qu’en 1957, après la promulgation du décret du 14 mars 1957 relatif à la loi sur les municipalités. Or, le 8 mars 2023, le président Saïed publiait au Journal officiel tunisien un décret-loi (n°09/2023) ordonnant la dissolution des conseils municipaux, désignant les secrétaires généraux des municipalités pour gérer leurs affaires courantes et leur administration.

Certes, l’article premier du décret-loi précise que la dissolution est temporaire jusqu’à l’élection de nouveaux conseils. Mais il méconnaît totalement le Code des collectivités locales, notamment ses articles 204 et 209, qu’il viole à la fois sur le fond et sur la forme. En effet, selon ce code, la dissolution d’un conseil municipal ne peut intervenir qu’en dernier recours et uniquement en cas de fautes graves établies, imputables à un conseil donné — et non par un décret global et sans justification. De plus, contrairement à la pratique de 2011, aucune délégation spéciale n’a été désignée pour chaque municipalité. Les municipalités ont été purement et simplement annexées aux gouverneurs (préfets) , vidant ainsi de sa substance le code et ses principes, et mettant surtout un terme à la décentralisation.

Les « bases » ne sont manifestement pas jugées aptes à s’autogérer au quotidien selon les actes du président. La municipalité, comme espace d’apprentissage de la démocratie et de gestion participative des affaires publiques, aussi bien pour les citoyen·nes que pour les partis politiques, n’a plus lieu d’être.

Deux ans après cette annexion et cet anéantissement de la démocratie locale et de l’administration décentralisée, rien ne laisse présager la tenue d’élections municipales. Plus grave encore, certains indices laissent penser qu’elles ont été renvoyées aux calendes grecques.

Deux indices au moins vont dans ce sens :

1. Le procès-verbal de l’ISIE n°8/2025 du 20 juin 2025, publié au Journal officiel de la République tunisienne (JORT) n°83 du 27 juin 2025, a pour premier point à l’ordre du jour la délibération sur la mission spéciale de l’instance au titre de l’année 2026. Ce procès-verbal ne contient aucune mention de la tenue éventuelle d’élections municipales. Il est probable que l’ISIE s’abstiendra, comme elle l’a fait pour la présidentielle, de confirmer l’organisation de ces élections ou d’en fixer la date. Aucune indication n’est fournie, même pour un scénario hypothétique. Le projet de budget de l’État pour 2026 confirmera ou infirmera ce constat.

2. Le deuxième indice est un texte paru également au JORT : un arrêté conjoint du ministre de l’Intérieur et du ministre de l’Équipement et de l’Habitat daté du 16 juillet 2025, relatif à la création de commissions techniques pour les lotissements et pour les permis de bâtir, précisant leur composition et leurs modalités de fonctionnement.

Deux arguments permettent d’affirmer que les élections municipales ne sont pas à l’ordre du jour. D’une part, l’arrêté ne mentionne pas dans ses références le Code des collectivités locales ni le Code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme. D’autre part, et surtout, l’arrêté exclut explicitement les présidents et membres des conseils municipaux de ces commissions : seul le secrétaire général chargé de la gestion de la municipalité les préside désormais. La gestion n’est plus provisoire, elle s’est institutionnalisée. Le secrétaire général n’assure plus un simple intérim : il devient le représentant légal de la municipalité.

Quant au parallélisme des formes, il ne semble plus être une question pertinente en Tunisie : un arrêté ministériel peut désormais abroger une loi organique, voire la Constitution, notamment son article 133 : « Les conseils municipaux et régionaux, les conseils des districts et les organismes que la loi leur confère le statut de collectivité locale, veillent aux intérêts locaux et régionaux dans les conditions fixées par la loi. » Encore faut-il qu’ils existent pour pouvoir veiller à quoi que ce soit.

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