Edito : La répression n’aura pas raison de la Tunisie démocratique

Il ne se passe pratiquement pas un jour en Tunisie sans procès politique ou procès d’opinion, ni sans le prononcé de lourdes condamnations à l’encontre de responsables politiques de premier plan, de militants de la société civile, de blogueurs et de journalistes. Des jugements qui laissent entendre que celles et ceux qui se sont attachés à leur droit d’exprimer librement leurs opinions, ou qui ont refusé l’injustice et l’oppression en restant fidèles aux principes portés par la révolution — liberté, démocratie, justice indépendante et alternance pacifique du pouvoir — n’ont pas leur place dans l’État du Président et de son pouvoir absolu. Plus grave encore, nombre d’entre eux risquent de passer le reste de leur vie en prison si ce régime devait perdurer.

Mais, dans la réalité, ce régime est en faillite à tous les niveaux. Non seulement parce qu’il est incapable de produire un discours politique crédible, se contentant de vouer ses opposants et ses critiques à la trahison et de recycler un discours guerrier fictif et éculé sur de prétendues « batailles de libération nationale », dans une rhétorique donquichottesque qui combat des moulins à vent imaginaires de « comploteurs » et de « traîtres », alors qu’en réalité c’est lui qui a trahi la confiance constitutionnelle et la nation en s’accaparant le pouvoir, en renversant les institutions, en violant la Constitution, en réprimant les libertés et en se muant en gardien des frontières européennes en échange du silence sur ses atteintes à la démocratie et aux droits humains. Mais surtout parce que le pays traverse une crise économique et sociale étouffante : une crise des finances publiques marquée par l’explosion de l’endettement et du service de la dette, l’absence de développement, un taux de croissance dérisoire ne dépassant pas 2,4 %, un investissement en recul constant, une paralysie des secteurs public et privé due au blocage politique, des hommes d’affaires pris en étau entre le chantage de l’État et la menace d’emprisonnement, et des protestations sociales quasi quotidiennes provoquées par la dégradation alarmante de la situation sociale…

Même ceux qui étaient proches du pouvoir ont fini par comprendre que ce régime est totalement incapable de proposer des alternatives réalistes, et que l’autoritarisme qu’il poursuit est totalement vide de toute réalisation concrète. À l’exception d’une minorité qui s’est spécialisée dans l’injure et l’insulte, les autres se sont soit réfugiés dans le silence, soit ont choisi de sauter d’un navire dont la fin apparaît désormais inéluctable.

Quant à la marche du 17 décembre 2025, conçue pour dénaturer l’histoire de la révolution, conférer une légitimité à un pouvoir qui en est dépourvu et remplacer un discours politique discrédité, elle s’est révélée — malgré la vaste campagne de propagande qui l’a précédée sur les réseaux sociaux et dans des médias dont le régime a accaparé l’ensemble du récit, et malgré la mobilisation de dizaines de bus financés par des fonds publics depuis toutes les régions du pays — une profonde déception pour le pouvoir et ses partisans. Elle a constitué une preuve supplémentaire de l’érosion de sa popularité. Les marches de Gabès, appelant au démantèlement des unités mortifères du complexe chimique, et celle de Sidi Bouzid, réclamant le travail et la liberté à l’occasion de l’anniversaire du martyre de Mohamed Bouazizi, l’ont d’ailleurs largement surpassée en nombre, en portée, en intérêt international et en clarté des slogans et des revendications.

Face à cette situation politique et sociale désastreuse et à l’accumulation des échecs, sur les plans interne et externe, des signes positifs commencent néanmoins à apparaître. Les manifestations qui se sont multipliées ces derniers mois ont rassemblé l’ensemble des partis d’opposition et des organisations de la société civile. Presque tous se sont désormais ralliés à la position défendue depuis des années par le Comité pour les libertés et les droits de l’homme en Tunisie : le salut ne peut être ni individuel ni partisan et étriqué ; l’exclusion ne fait que perpétuer l’autoritarisme ; le conflit politique ne signifie ni la négation de l’autre ni l’étouffement de sa voix ; et la stratégie du pouvoir fondée sur la division a été démasquée. Parallèlement, le soutien international s’élargit et se fait entendre avec force, démontrant que la cause du retour de la démocratie en Tunisie compte des soutiens à travers le monde. Le rassemblement tenu le 16 décembre à la Bourse du Travail à Paris, réunissant des mouvements sociaux, des partis politiques et des syndicats français, ainsi que des organisations de défense des droits humains venues de nombreux pays, en est une illustration éloquente. Il témoigne d’une prise de conscience croissante de l’injustice flagrante subie par les prisonniers politiques et d’opinion en Tunisie, ainsi que des dangers de l’autoritarisme qui sévit dans notre pays, et contribuera à renforcer la pression internationale afin d’accentuer l’isolement du régime et de lui faire comprendre qu’il n’a d’autre choix que de se conformer à la véritable volonté du peuple.

C’est grâce à cette conscience grandissante, à l’unification de l’ensemble de nos forces civiles et politiques et au soutien des forces démocratiques à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, que nous pourrons retrouver l’espoir de la libération des prisonniers politiques et d’opinion, et reconquérir les principes de notre révolution — liberté, démocratie et justice. La politique, dans son sens éthique et réaliste, pourra alors retrouver toute sa place.

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