En l’espace de moins de deux mois, la Tunisie a été secouée par une série d’événements tragiques : dix citoyens se sont immolés par le feu pour des raisons diverses. Ce phénomène, qui rappelle douloureusement l’immolation de Mohamed Bouazizi en 2010 — un événement déclencheur de la révolution tunisienne — révèle une situation sociale alarmante. Derrière chaque acte se cache une souffrance profonde, souvent issue de conditions économiques précaires, d’injustices sociales et d’un sentiment d’abandon par les institutions publiques.
Une vague de désespoir :
Voici un récapitulatif des cas d’auto-immolation recensés entre décembre 2024 et février 2025 :
- 18 décembre 2024 – Tataouine : un jeune homme s’immole par le feu et succombe à ses blessures graves après avoir été transféré en urgence.
- 22 décembre 2024 – Kairouan : décès d’un jeune homme, gravement brûlé, après s’être immolé.
- 29 décembre 2024 – Bizerte : une femme s’immole devant son lieu de travail, près d’une usine dans la ville.
- 4 janvier 2025 – Kairouan (Menchia) : un jeune homme s’immole par le feu devant un bâtiment administratif, ce qui provoque des brûlures graves.
- 20 janvier 2025 – Chaouahia, Kairouan : un homme s’immole et est transporté à l’hôpital en urgence.
- 28 janvier 2025 – Manouba (Ksar Saïd) : une femme s’immole en utilisant un produit inflammable.
- 1er février 2025 Sbitla (Kasserine) : une jeune fille de 14 ans tente de s’immoler par le feu dans l’enceinte de son établissement scolaire.
- 3 février 2025 – Sfax : un homme s’immole devant un tribunal régional.
- 6 février 2025 – Sousse (Cité Riadh) : un homme s’immole dans un centre de sécurité.
- 7 février 2025 – Bab Saadoun, Tunis : un jeune homme tente de s’immoler près d’un hôpital, mais est secouru à temps.
Ces cas, souvent concentrés dans les régions marginalisées ou défavorisées, traduisent un malaise social profond.
Les causes : une crise multidimensionnelle
Les immolations par le feu ne sont jamais des actes isolés. Elles résultent d’un cumul de facteurs économiques, sociaux et psychologiques. Plusieurs causes semblent se dessiner à travers cette vague tragique :
- Un chômage et une pauvreté chroniques
La Tunisie, après avoir été l’espoir d’une transition démocratique, fait aujourd’hui face à une crise économique persistante. Le taux de chômage, qui touche près de 15 % de la population, grimpe à plus de 30 % parmi les jeunes diplômés. Les régions intérieures comme Kairouan, Sidi Bouzid et Tataouine souffrent encore davantage, avec peu d’opportunités d’emploi.
De nombreux Tunisiens ne parviennent plus à subvenir à leurs besoins essentiels. Cette pression économique constante est un facteur déterminant de nombreux actes de désespoir.
2- Cout de la vie et précarité sociale
L’inflation généralisée, en particulier sur les denrées de base et les produits de première nécessité, a aggravé la précarité. De nombreuses familles, y compris celles des classes moyennes, sombrent dans la pauvreté.
Les aides sociales à destination des plus démunis sont jugées insuffisantes ou mal distribuées. Les citoyens les plus vulnérables se retrouvent souvent sans soutien financier, ce qui les pousse au désespoir.
3- Injustice sociale t sentiment d’abandon
Beaucoup de Tunisiens se sentent abandonnés par l’État. Les retards administratifs, les litiges juridiques non résolus et les difficultés d’accès aux services publics alimentent un sentiment d’injustice.
Les personnes vivant dans les régions rurales et défavorisées sont particulièrement touchées par ce sentiment d’échec institutionnel.
La dignité humaine : un affichage dans le discours populiste sans effets sur la réalité
Chaque immolation par le feu est une tragédie personnelle, mais ses répercussions vont bien au-delà de l’individu. Ces actes provoquent des traumatismes au sein des familles, des communautés et de la société dans son ensemble.
Ils accentuent le sentiment de peur et d’instabilité sociale. Les jeunes, en particulier, sont affectés par la multiplication de ces drames, ce qui renforce leur perception d’un avenir bouché.
Malgré la multiplication des discours politiques qui se réclament de la défense des plus démunis, les réalités sociales et économiques n’évoluent pas. Le discours populiste, axé sur l’affichage de proximité avec les souffrances des citoyens, reste souvent déconnecté des actions concrètes sur le terrain. Les annonces de programmes sociaux et de réformes restent largement théoriques, sans impact visible pour les populations les plus vulnérables.
Les citoyens, notamment dans les régions intérieures, se sentent trahis par des promesses non tenues. Le fossé entre les discours officiels et la réalité de leur quotidien ne cesse de se creuser, alimentant un climat de défiance envers les institutions.
La vague d’immolations que connaît la Tunisie est un signal d’alerte majeur. Elle ne peut être ignorée ou minimisée. Chaque acte traduit une détresse humaine qui aurait pu être prévenue avec des mesures adéquates.
La dignité des citoyens ne peut rester un simple slogan politique ; elle doit être traduite en politiques publiques effectives et adaptées aux besoins des populations marginalisées. Sans cela, les discours continueront de sonner creux, et les drames humains se multiplieront.