Tunisie : sur la voie d’un despotisme stérile

La Tunisie a connu, après son indépendance et avant la révolution, des décennies de dictature durant lesquelles la pensée dissidente a été écrasée, la parole libre étouffée, le pluralisme politique aboli. Le pouvoir en place s’est alors vengé de ses opposants et de ses critiques par la prison, l’exil, la torture et la persécution… Mais nous pensons que la forme de despotisme que connaît aujourd’hui la Tunisie revêt une singularité inquiétante, marquée, au moins, par trois paradoxes criants : elle conjugue une vengeance primaire contre toute action politique ou civile, une crise économique qui ne cesse de s’aggraver jour après jour, et un discours officiel proche du délire et de l’illusion, dont l’acteur principal est sans conteste un président passionné par les monologues intérieurs, les formules nébuleuses et les clichés lourds, devenus aujourd’hui objets de dérision et de moquerie parmi les Tunisiens…

Mais rien, hélas, ne prête à rire aujourd’hui en Tunisie. Au contraire, tout dans la situation actuelle appelle tristesse et douleur : des prisons pleines de prisonniers d’opinion, de détenus politiques, de journalistes et de blogueurs ; des peines de prison bien supérieures à l’espérance de vie des condamnés, prononcées presque quotidiennement par des juges aux ordres du pouvoir — par peur ou par servilité — surtout après avoir vu ce qu’il est advenu de leurs collègues qui ont écouté leur conscience et respecté la loi : révocation, sanctions disciplinaires, rétrogradation…

L’accusation de terrorisme est désormais accolée à toute forme d’opposition politique, de critique du pouvoir ou de dénonciation de l’injustice. Peu importe que les accusations soient infondées, que les preuves fassent défaut, que le droit pénal soit bafoué, que les principes élémentaires d’un procès équitable soient absents, ou encore que l’ingérence du pouvoir politique soit flagrante. Car le président de la République est à la fois “partie et juge”, il est à la fois enquêteur, magistrat et accusateur. C’est lui qui distribue les accusations et ne cache même pas son mépris pour ceux qui osent critiquer ou plaident pour le pluralisme politique et l’indépendance de la justice. N’a-t-il pas condamné d’emblée une élite politique entière, l’accusant de “complot” et de “collusion avec l’étranger”, avant même que des accusations officielles ne soient formulées et des arrestations menées ? N’a-t-il pas menacé explicitement les juges en déclarant que “ceux qui les acquittent sont leurs complices” ? Qui donc peut encore croire, sans naïveté, à l’existence d’une justice indépendante dans un État encore régi par la loi ?

Résultat : des magistrats, soumis à la pression du glaive brandi par le pouvoir au-dessus de leurs têtes, ont choisi en nombre l’obéissance et la soumission, participant activement au processus de liquidation du droit. Ils rivalisent dans le prononcé de sentences sévères pour plaire à l’exécutif, allant jusqu’à inventer de nouveaux chefs d’accusation pour ceux dont les peines iniques arrivent à terme, afin de les maintenir derrière les barreaux et de les empêcher de déranger le pouvoir par une critique qu’il ne tolère pas ou une opinion qu’il rejette avec un entêtement puéril. Même les administrations pénitentiaires s’impliquent de plus en plus dans ce projet autoritaire, maltraitant les détenus politiques et leurs familles, qui endurent d’immenses difficultés pour leur rendre visite, alors qu’ils sont déplacés de prison en prison et soumis à des mesures arbitraires constantes.

Et pour ceux qui se demandent : pourquoi tant de vengeance ? Pourquoi cette haine insoutenable, cette cruauté maladive ? Qu’ils écoutent les discours accablants du président, qui depuis six ans ne profèrent que menaces, accusations de trahison et d’atteinte à la sûreté de l’État, à l’égard de quiconque n’épouse pas ses convictions, ses orientations ou ses lubies. Mais, a-t-il réellement des idées Il est temps d’ouvrir les yeux pour ceux qui prétendent encore ne pas voir.?

Il est temps d’ouvrir les yeux pour ceux qui prétendent encore ne pas voir : les accusations portées contre tous les opposants et critiques ne sont qu’un écran de fumée destiné à masquer l’échec économique et social d’un pays accablé par l’endettement interne et externe, où le peuple a perdu toute perspective d’une vie digne, non seulement du fait de la perte de sa liberté et de sa dignité, mais aussi en raison de la cherté de la vie, de l’inflation galopante, de la pénurie de produits de base, du chômage endémique et de l’augmentation des taux de pauvreté… Face à un gouvernement fantôme et un président qui pousse le pays dans une crise dont il sera difficile de sortir.

Devant cette impasse à tous les niveaux, dans un pays qui a rêvé un jour de liberté et de dignité, devant l’injustice et l’humiliation que subissent les prisonniers d’opinion, et face à une crise économique et sociale menaçant d’un effondrement aux conséquences imprévisibles, nous croyons fermement que nous sommes devant une responsabilité historique majeure, qui exige de nous — militants civiques, politiques, intellectuels — courage, lucidité et sagesse. Il s’agit de ne pas abandonner les prisonniers, coupables seulement d’avoir voulu reconquérir une démocratie confisquée et défendre leurs droits à la liberté, à un sort sombre et à une mort lente. Il s’agit aussi de rendre au peuple sa révolution qui lui a été volée…

Sinon, notre pays s’enfoncera davantage dans le marécage des crises, conduit par un président qui n’écoute que l’écho de sa propre voix.

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