L’interdiction des visites pénitentiaires consacre l’opacité institutionnelle 

La décision des autorités tunisiennes d’empêcher la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme (LTDH) d’accéder aux établissements pénitentiaires ne relève ni d’un incident administratif, ni d’un simple désaccord procédural. Elle s’inscrit dans une dynamique plus large et profondément préoccupante : la restriction progressive des mécanismes de contrôle indépendant et la remise en cause du rôle légitime de la société civile dans la protection des droits fondamentaux.

Les faits sont établis. À plusieurs reprises, des délégations mandatées de la LTDH ont été empêchées de visiter des prisons civiles, sans justification légale explicite, sans notification préalable et en violation manifeste du mémorandum d’entente signée en juillet 2015 entre la Ligue et le ministère de la Justice. Plus grave encore, ces interdictions répétées sont désormais présentées comme constituant un « achèvement implicite » de cet accord, sans qu’aucune procédure formelle de résiliation n’ait été engagée.

Une décision ARBITRAIRE, dépourvue de fondement juridique 

En droit comme en pratique, une telle démarche est dépourvue de base légale. Le mémorandum de 2015 ne prévoit ni résiliation tacite, ni suspension unilatérale, encore moins la possibilité pour l’administration pénitentiaire de bloquer l’accès aux établissements sans motif juridique clair et motivé.

En procédant de la sorte, le ministère de la Justice instaure un précédent dangereux : celui d’une administration qui se soustrait à ses engagements par le simple fait accompli, au mépris des principes de sécurité juridique, de continuité de l’action publique et de bonne gouvernance.

La tentative de présenter les visites de la LTDH comme un privilège accordé par l’État relève d’une interprétation sélective et instrumentale des accords conclus et plus largement d’une présentation biaisée du rôle historique de la société civile.

La LTDH n’a pas attendu 2015 pour intervenir dans les lieux de privation de liberté. Depuis des décennies, elle exerce une mission reconnue consistant à :

  • documenter les conditions de détention,
  • prévenir la torture et les mauvais traitements,
  • défendre la dignité et les droits des personnes privées de liberté,
  • formuler des recommandations en vue de réformes structurelles du système pénitentiaire.

Le mémorandum d’entente n’a fait que formaliser un rôle préexistant, légitime et conforme aux standards internationaux, notamment ceux relatifs à la prévention de la torture et au contrôle indépendant des lieux d’enfermement.

L’interdiction faite à la LTDH ne saurait être réduite à un différend administratif. La limitation de l’accès aux établissements pénitentiaires traduit un choix politique assumé, qui concerne l’ensemble des acteurs indépendants : organisations de la société civile, avocats, journalistes et mécanismes de surveillance.

Le message est sans ambiguïté : la transparence est tolérée tant qu’elle demeure silencieuse et sans portée critique.

Or, les prisons constituent un indicateur central de l’état de droit. Lorsqu’elles sont soustraites au regard indépendant, le risque d’atteintes graves aux droits humains devient systémique : mauvais traitements, atteintes à la dignité, violations du droit à la santé, détentions arbitraires et affaiblissement des garanties contre l’impunité.

Une responsabilité politique directe du ministère de la Justice

En refusant l’accès aux établissements pénitentiaires et en entravant les mécanismes de contrôle indépendant, le ministère de la Justice engage pleinement sa responsabilité politique et morale. Il devient comptable du recul préoccupant des garanties relatives aux droits humains dans les lieux de détention, en contradiction avec les engagements internationaux librement souscrits par la Tunisie.

La prévention de la torture et la protection des droits des personnes privées de liberté ne peuvent se limiter à des déclarations de principe. Elles supposent l’existence de mécanismes effectifs, indépendants et transparents, fondés sur la coopération avec la société civile.

La LTDH n’est ni un acteur conjoncturel ni une organisation marginale. Elle constitue une institution nationale, dotée d’une légitimité historique et d’un rôle structurant dans la défense des droits et libertés.

La viser aujourd’hui revient à :

  • fragiliser un acteur central de la vie associative 
  • normaliser l’absence de contrôle indépendant,
  • et contribuer à l’érosion progressive des fondements du pluralisme.

Cette démarche dépasse la seule question des visites pénitentiaires et participe à une reconfiguration restrictive de l’espace civique, au détriment de la responsabilité publique et de la protection des droits.

Une bataille de PRINCIPES AU-delà des procédures 

Ce qui se joue actuellement dépasse largement un différend autour d’un accès ou d’une procédure. Il s’agit de déterminer :

  • qui a le droit de surveiller l’action de l’État,
  • qui définit les contours de la transparence,
  • et si les droits humains demeurent un cadre contraignant ou se réduisent à un discours institutionnel.

La fermeture des prisons au regard indépendant n’est jamais neutre. Elle prépare toujours le terrain aux abus.

Défendre le droit de la LTDH à visiter les prisons, c’est défendre :

  • la dignité des personnes détenues,
  • le droit du public à l’information,
  • la responsabilité des institutions,
  • et les fondements mêmes de l’État de droit.

Car il n’y a pas de justice durable sans contrôle indépendant. Les lieux de détention soustraits à la transparence deviennent des zones de vulnérabilité extrême pour les droits humains.

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