Le 14 avril 2025, à El Mazouna, dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, trois lycéens sont morts, écrasés par un mur effondré dans leur établissement. Deux autres élèves ont été grièvement blessés. Ce mur, fissuré depuis des années, est l’image crue d’une violation structurelle des droits humains : le droit à l’éducation dans des conditions dignes, le droit à la sécurité, le droit à un État qui protège.
Ce drame n’est pas une fatalité. Il est l’aboutissement d’une politique d’abandon, d’un désengagement de l’État, d’un mépris prolongé envers les droits économiques et sociaux des populations des régions marginalisées. Il révèle un pouvoir qui a cessé d’assumer ses obligations fondamentales.
Une tragédie évitable, une colère légitime
Des alertes avaient été lancées dès 2022. Le directeur du lycée, aujourd’hui détenu, avait écrit aux autorités. Des habitants avaient publié des photos du mur fissuré. Rien. Pas un chantier, pas une intervention. Et aujourd’hui, c’est la jeunesse qui paie de son sang. Ce n’est pas un accident. C’est une faille systémique dans l’accès aux droits.
La population d’El Mazouna ne s’est pas résignée. Elle est descendue dans la rue pour demander justice, pour refuser que leurs enfants deviennent des statistiques. Le droit à manifester, garanti par la Constitution, a été confronté à la répression : gaz lacrymogènes, arrestations arbitraires, intimidations contre la presse. L’État tunisien, au lieu de garantir les droits, les entrave.
Une visite à l’aube, un pouvoir en errance, une économie en naufrage
Le 18 avril, Kaïs Saïed s’est rendu furtivement à El Mazouna à l’aube. Sans prévenir la presse. Sans écouter les familles. Sans affronter la colère. Ce geste, censé incarner la proximité, n’a été qu’une mascarade solitaire. Dans son discours, le président a dénoncé des «financements étrangers » et « des mains invisibles » usant d’une rhétorique du soupçon pour délégitimer toute contestation.
Plutôt que de répondre à la crise par des engagements clairs en matière de droits sociaux et économiques – santé, éducation, logement, infrastructures –, le chef de l’État préfère brandir des ennemis imaginaires. Son pouvoir solitaire étouffe la parole collective, méprise les corps intermédiaires, ignore les revendications légitimes de citoyennes et citoyens.
La Tunisie traverse une récession profonde, aggravée par une politique économique erratique. Le pays s’enfonce dans l’inflation, la désindustrialisation, la précarisation, pendant que le président gouverne par l’exception et le repli. La souveraineté brandie comme un talisman n’a aucun sens sans une politique publique fondée sur les droits humains.
L’Etat viole ses propres engagements
La Tunisie est tenue, en vertu de sa Constitution et des traités internationaux qu’elle a ratifiés, de garantir à tous ses citoyens le droit à une éducation de qualité, à des conditions de vie dignes, à la protection sociale. À El Mazouna, tous ces droits ont été bafoués. Ce mur qui s’effondre est le symptôme d’un abandon généralisé des services publics, d’une politique d’austérité qui tue, d’une absence de vision équitable pour le pays.
L’éducation n’est pas un luxe, c’est un droit fondamental. Et ce droit commence par l’accès à des infrastructures sûres. Quand un enfant meurt à l’école, c’est la République qui s’effondre.
Les citoyens d’El Mazouna n’attendent pas la charité de l’État. Ils exigent ce qui leur revient de droit. Ils ne veulent pas être réduits au silence par la peur ou l’oubli. Ils veulent être vus, entendus, respectés.
La Tunisie ne se relèvera pas sans justice sociale. Sans réinvestissement dans les droits sociaux fondamentaux. Sans égalité réelle entre régions, entre enfants, entre citoyens. Le drame d’El Mazouna appelle un sursaut. Il exige qu’on reconstruise – non seulement des murs, mais la promesse républicaine.
Le peuple tunisien ne demande pas des visites à l’aube. Il réclame une République en plein jour.