Après l’ATFD, le FTDES est suspendu — et la liste s’allonge : la machine à détruire les associations écrase la Tunisie vivante

Depuis plusieurs semaines, une véritable machine à détruire les associations s’abat sur la société civile tunisienne. Sous couvert de « transparence » et de « contrôle des financements », les autorités multiplient les suspensions administratives arbitraires en violation flagrante de l’article 37 de la Constitution de 2022 qui garantit la liberté d’association ainsi que du principe de proportionnalité consacré par le droit tunisien et les conventions internationales

Le 20 octobre 2025, une nouvelle décision de suspension d’activité frappe une association indépendante, après celles ayant visé l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD) : il s’agit du Forum Tunisien pour les Droits Économiques et Sociaux (FTDES).
Cette décision — prise alors même que l’association concernée a fourni tous les documents exigés par l’administration — constitue une violation manifeste du droit, un abus d’autorité et une atteinte grave à la liberté d’association.

Une mesure disproportionnée et juridiquement sans fondement 

Le décret-loi n°2011-88 du 24 septembre 2011 encadre strictement la suspension d’une association:  elle ne peut intervenir qu’en cas de manquements graves et après mise en demeure restée sans réponse. Or, dans le cas présent :

  • L’association a répondu dans les délais et transmis l’intégralité des pièces demandées (rapports d’activités, bilans, justificatifs de financement).
  • Aucune irrégularité avérée n’a été constatée par écrit ni notifiée de manière motivée.
  • L’administration a pris une décision sans audition, ni dialogue préalable, en violation du principe du contradictoire (article 45).

Cette décision est irrégulière sur le plan procédural et disproportionnée dans ses effets.
Elle viole l’article 37 de la Constitution de 2022, qui reconnaît et protège la liberté d’association ainsi que l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui interdit toute restriction à ce droit sauf si elle est strictement nécessaire et proportionnée à un objectif légitime — conditions totalement absentes dans le cas ici concerné.

Le financement étranger : un droit, non un délit 

Depuis des mois, les autorités mènent une campagne agressive de dénigrement contre les associations recevant des soutiens des bailleurs de fonds étrangers.
Des communiqués officiels, relais médiatiques et publications anonymes instrumentalisent la question du financement pour criminaliser l’action associative et alimenter un discours de suspicion et de haine.

Or, le financement étranger est explicitement autorisé par le décret-loi de 2011, sous réserve d’une simple déclaration à l’administration.
Il ne constitue ni une infraction, ni une atteinte à la souveraineté nationale.
Les associations qui reçoivent ces fonds agissent dans la transparence, selon des mécanismes de suivi et d’audit documentés.
Les amalgames entretenus par le pouvoir visent à délégitimer toute parole critique, en transformant l’indépendance en « menace » et la solidarité en « ingérence ».

Ce glissement rhétorique — du droit au soupçon, du civisme à la trahison — traduit la dérive autoritaire d’un État qui confond le contrôle avec la domination et la loi avec la répression.

Hommage au FTDES et une la société civile debout

Le Forum Tunisien pour les Droits Économiques et Sociaux (FTDES) incarne cette résistance. Depuis plus d’une décennie, il documente les fractures sociales, la crise environnementale, la détresse des marginalisés.  Il travaille sur les dimensions de la souffrance sociale, statistiques et chiffres à l’appui et donne voix aux invisibles.

Le frapper, c’est vouloir étouffer la vérité ; mais la vérité a la peau dure — celle du FTDES, comme celle des femmes et des hommes.

Nous appelons à la levée immédiate de toutes les suspensions administratives arbitraires et à la fin de la campagne de stigmatisation visant les associations indépendantes.
Nous demandons au Tribunal administratif de faire respecter le droit et de rappeler que la liberté d’association ne se suspend pas par décret.

Nous appelons les organisations internationales et les réseaux de défense des droits humains à exprimer publiquement leur solidarité avec la société civile tunisienne et à dénoncer les mesures arbitraires qui frappent les associations indépendantes. Le silence face à ces dérives reviendrait à cautionner la fermeture de l’espace civique.

Nous appelons également l’Union européenne et ses États membres à mettre fin à leur complaisance envers le régime de Kaïs Saïed et à réorienter leurs relations avec la Tunisie sur la base des valeurs qu’ils proclament : la liberté, la justice et le respect de l’État de droit.

Les associations ne menacent pas la Tunisie : elles la font vivre, respirer, espérer.
Les réduire au silence, c’est étouffer ce qui reste de liberté dans le pays.
Fermer un local, geler un compte, suspendre une activité — rien ne fera taire la dignité.
Car tant qu’il y aura des femmes et des hommes pour agir, parler et se tenir debout,
le cœur de la Tunisie libre continuera de battre.

Paris, le 27 octobre 2025

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