Le Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT) exprime sa plus ferme condamnation suite à la décision rendue le jeudi 12 juin 2025 par le Tribunal de première instance de Tunis, qui a condamné l’avocate et opposante politique Abir Moussi à deux années de prison ferme. Cette condamnation, confirmée publiquement par son avocat Me Nafaa Laribi, repose sur une plainte déposée par l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections (ISIE), à la suite de propos critiques tenus par Mme Moussi à l’encontre de l’institution électorale, dans le cadre des élections législatives de 2022.
La condamnation s’appuie sur l’article 24 du décret-loi 54 relatif à la cybercriminalité, un texte unilatéralement adopté par Kaïs Saïed en septembre 2022, qui pénalise la « diffusion de fausses informations » portant atteinte à la sécurité publique ou à l’ordre public. Depuis sa promulgation, ce décret-loi est utilisé de manière systématique pour poursuivre et emprisonner les journalistes, avocat·es, militant·es des droits humains, figures syndicales ou politiques, et toute personne exprimant publiquement un désaccord avec la ligne du pouvoir. Ce texte, qui criminalise l’opinion politique et les critiques publiques, est massivement dénoncé par les organisations de défense des droits humains tunisiennes et internationales pour son caractère vague, sa portée disproportionnée et son incompatibilité avec les normes fondamentales de liberté d’expression.
Cette décision de justice survient alors que Mme Moussi est déjà détenue depuis le 3 octobre 2023, date à laquelle elle a été arrêtée par la police tunisienne à proximité du palais présidentiel de Carthage. Elle tentait alors de déposer un recours administratif contestant un décret présidentiel. Cette arrestation, survenue dans des conditions particulièrement opaques, a ouvert une période de détention prolongée, marquée par de graves irrégularités procédurales, des restrictions arbitraires et un isolement délibérément organisé.
Depuis son incarcération, Mme Moussi a fait l’objet de plusieurs transferts successifs entre différents établissements pénitentiaires : de la prison de la Manouba à celle de Nabeul, puis à celle de Bulla Regia dans le gouvernorat de Jendouba, à plus de 150 kilomètres de Tunis. Ces transferts n’ont été accompagnés d’aucune justification officielle et ont eu pour effet direct de l’éloigner de sa famille, de ses avocat·es et de toute possibilité de défense effective. Les conditions de détention dénoncées par ses proches et sa défense sont alarmantes : privation temporaire de nourriture et de médicaments, limitations strictes et arbitraires des visites familiales et juridiques, application de règlements non conformes au droit tunisien, isolement prolongé. Plusieurs alertes ont été lancées sur sa santé physique et mentale, d’autant plus inquiétantes qu’Abir Moussi a observé à plusieurs reprises des grèves de la faim en protestation contre ses conditions de détention.
Le CRLDHT dénonce un harcèlement politico-judiciaire manifeste visant à neutraliser l’une des figures d’opposition dans un contexte de régression accélérée des libertés publiques en Tunisie. Cette condamnation intervient dans un climat d’asphyxie politique où les critiques du régime sont systématiquement criminalisées. L’ISIE, institution théoriquement indépendante, est devenue l’un des instruments de cette stratégie de répression, en poursuivant les acteur·rices politiques contestant la légitimité du processus électoral, qui a pourtant été boycotté massivement en 2022 et marqué par une abstention historique.
Ce jugement s’inscrit dans une dynamique plus large, où le droit pénal tunisien est détourné de sa vocation initiale pour devenir un outil de contrôle politique. En réprimant une déclaration politique sur une instance publique, le pouvoir judiciaire met gravement en cause les fondements mêmes de la liberté d’expression, du pluralisme démocratique et du droit à la critique des institutions. Le fait que Mme Moussi, avocate et députée élue, soit aujourd’hui condamnée pour avoir exprimé des réserves sur l’organisation d’une élection, alors même que la Constitution garantit le droit à la participation politique et à la libre critique, constitue une violation flagrante des principes fondamentaux de tout État de droit.
Le CRLDHT rappelle que la Tunisie est signataire de nombreux instruments internationaux en matière de droits humains, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui garantit le droit à un procès équitable, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté d’association et la protection contre les détentions arbitraires. Le maintien en détention prolongée de Mme Moussi, la multiplication des poursuites à son encontre, les violations de ses droits procéduraux et les restrictions graves à ses conditions de détention, constituent autant de violations de ces engagements internationaux.
Face à cette situation, le CRLDHT exige l’annulation immédiate de la condamnation prononcée le 12 juin 2025 contre Abir Moussi et la cessation de toutes les poursuites visant à la réduire au silence. Nous demandons également la libération immédiate de Mme Moussi, la garantie de ses droits fondamentaux en détention, l’accès libre à ses avocat·es et à sa famille, ainsi que la transparence complète sur son état de santé.
Le CRLDHT appelle à l’abrogation du décret-loi 54, devenu un instrument central de la répression politique, et à restaurer les garanties constitutionnelles de l’État de droit. Nous appelons également les organisations de la société civile, les instances internationales, les syndicats, les avocat·es et les mouvements démocratiques à se mobiliser pour dénoncer cette dérive autoritaire, exiger la fin des détentions arbitraires, et défendre les droits civils et politiques de l’ensemble des citoyen·nes tunisien·nes.
Ne pas réagir face à cet acharnement politique, c’est laisser la répression s’installer durablement et entériner l’effacement des libertés fondamentales conquises au prix de décennies de lutte.