Une fois que “l’Assemblée des représentants du peuple” ait approuvé la loi supprimant les compétences du Tribunal administratif en matière de litiges électoraux – la juridiction qui avait réintégré trois candidats rejetés arbitrairement par l’Instance électorale -, sa publication au Journal officiel par Kaïs Saïed a été faite avec la même rapidité avec laquelle le texte a été proposé et approuvé. Une vidéo datant de 2019, a circulé dans laquelle le candidat de l’époque, Kaïs Saïed, déclarait que « changer la loi électorale quatre mois avant les élections est un assassinat de la démocratie et des valeurs de la République. ». Il y a cinq ans, Kaïs Saïed était enseignant de droit constitutionnel et candidat à la présidence dans un environnement marqué par l’existence d’oppositions, d’institutions diverses, d’un État de droit respecté et des médias qui critiquaient les abus…
Aujourd’hui, l’enseignant de droit constitutionnel est devenu président de la Tunisie, a concentré tous les pouvoirs entre ses mains et a détruit toutes les institutions de régulation à commencer par le Conseil supérieur de la magistrature et l’Instance électorale qui, à une époque, était indépendante et avait supervisé plusieurs élections reconnues pour leur transparence et leur intégrité dans le monde entier. En 2022, le président a lui-même nommé ses membres, transformant cette instance en un outil malléable qui lui permet de s’assurer un nouveau mandat sans concurrence. Il en est de même pour le Parlement, qui depuis son installation en 2022, ne sert que comme une chambre d’écho à sa voix et ne fait qu’obéir à sa volonté. Ainsi, il ne voit aucune objection à piétiner la loi électorale pendant la période de campagne électorale.
Mais qu’est-ce qui pousse un président aux pouvoirs pharaoniques à craindre des élections équitables?
Il a pourtant emprisonné la plupart des dirigeants des partis politiques sous des accusations infondées, et son système judiciaire a refusé de les juger après la fin de leur détention préventive, en violation flagrante de toutes les lois. Il a également renvoyé arbitrairement les juges qui refusaient d’exécuter ses ordres. De plus, il a promulgué des décrets répressifs qui restreignent la liberté d’expression et la criminalisent, décrets qui ont conduit des dizaines de journalistes et de citoyens à des peines de prison sévères simplement pour avoir exprimé une opinion ou critiqué le pouvoir. Tout cela afin qu’il puisse avoir un contrôle total sur la vie politique et gouverner le pays seul, à sa manière.
Aujourd’hui, il est conscient que ses performances sont désastreuses sur le plan politique, ayant étouffé la vie politique et isolé la Tunisie de son environnement régional et international. La crise économique s’aggrave de plus en plus et les manifestations de colère populaire se multiplient en raison de la hausse des prix, de la pénurie de produits de première nécessité, de l’augmentation du chômage et de l’intensification de la migration irrégulière, ainsi que des craintes d’une augmentation importante de la dette publique malgré les discours creux sur la souveraineté. De plus, ses accusations contre l’opposition et la société civile n’ont plus aucun effet, elles sont même devenues des sujets de moquerie. Tout cela le pousse à craindre les résultats des sondages d’opinion, qui le remettent à la place qu’il mérite réellement, c’est-à-dire derrière des personnalités de l’opposition qui jouissent d’une plus grande crédibilité auprès du peuple tunisien.
Kaies Saïed ne veut donc pas perdre les élections après avoir essayé de dévitaliser la vie politique, semé la peur et violé les droits. Ses partisans et fidèles craignent, tout comme lui, de rendre des comptes pour les atrocités qu’ils ont commises, qui pourraient être considérées comme des crimes contre l’humanité. C’est pourquoi ils préfèrent tous adopter une stratégie de fuite en avant, au prix de la manipulation des lois et des institutions et de nouvelles humiliations pour le peuple tunisien, ce même peuple qui s’est soulevé en 2011 pour la liberté et la dignité. Ce peuple acceptera-t-il aujourd’hui cette humiliation ? Et ses élites accepteront-elles que l’on se moque de leur intelligence ?
Tous les indicateurs semblent indiquer le contraire. Tout montre que les jours, les semaines et les mois à venir seront difficiles pour ce pouvoir et les prémices ont été les manifestations menées par les partis et les associations, les slogans forts qui ont été scandés, les positions fermes et courageuses exprimées par de nombreuses instances et organisations, comme les professeurs de droit et de sciences politiques et l’Association des magistrats tunisiens, en plus des décisions rendues par le Tribunal administratif supervisant les élections ainsi que les déclarations audacieuses de nombreux intellectuels et élites. Nous sommes fermement convaincus que la répression augmentera proportionnellement à la peur de perdre le pouvoir, Cependant, la répression ne pourra pas triompher de la volonté des peuples ? Voilà ce que ni Kaïs Saïed ni ses partisans n’ont encore pas compris.