À l’approche des élections présidentielles du 6 octobre 2024, la Tunisie traverse une période marquée par une répression croissante des opposants politiques et des voix dissidentes. Cette répression s’inscrit dans un schéma plus large de harcèlement systématique des journalistes, des défenseur.e.s des droits humains et des organisations de la société civile. À l’approche des élections, les droits humains et la liberté d’expression en Tunisie sont gravement menacés, avec la justice instrumentalisée par le gouvernement pour museler la dissidence, écarter les concurrent.e.s sérieux.ses à la présidentielle et faire taire les opposant.e.s. Depuis que le président Kaïs Saied s’est arrogé des pouvoirs exceptionnels en 2021, il a entrepris de restructurer plusieurs institutions, y compris l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), qu’il a placée sous son contrôle. Cette manœuvre a affaibli l’indépendance de la commission électorale et a conduit à des pratiques douteuses lors de la sélection des candidat.e.s à la présidentielle.
Ayachi Zammel : une cible de la répression
L’une des figures de cette vague d’oppression est Ayachi Zammel, un ancien député et fondateur du parti d’opposition Azimoun en juin 2022. Se présentant à la présidentielle en tant que candidat indépendant le 24 août 2024, Zammel a été condamné le 18 septembre 2024 à un an et huit mois de prison pour des accusations de falsification de parrainages. Cette condamnation, rendue par le Tribunal de premierère instance de Jendouba, est un verdict motivé politiquement visant clairement à saper ses chances dans la course à la présidentielle. A ces condamnations se rajoutent d’autres qui totalisent 12 ans d’emprisonnement ferme et interdiction de voter à vie.
Malgré ces détentions, l’avocat de Zammel, Abdessattar Massaoudi, a affirmé que son client restait déterminé à poursuivre sa campagne électorale. Lors d’une conférence de presse donnée le 16 septembre 2024 à Tunis, Massaoudi a souligné que seule la mort pourrait mettre fin à la campagne présidentielle de Zammel. Ce dernier incarne ainsi la résistance dans un climat politique marqué par l’intimidation et les poursuites judiciaires abusives.
Une répression systémique des opposants
Le cas de A.Zammel s’inscrit dans une offensive plus vaste visant des personnalités politiques de l’opposition. En août 2024, plusieurs candidat.e.s potentiel.le.s à la présidentielle ont été condamné.e.s pour des accusations similaires de fraude aux parrainages . Parmi eux figuraient Nizar Chaari, activiste et producteur de médias, et Karim Gharbi, rappeur et homme d’affaires, tous deux condamnés de quatre ans de prison, mais aussi l’ancien dirigeant d’Ennahdha Abdellatif Mekki, , le juge Mourad Massaoudi, et un autre candidat, Mohamed Adel Dou, condamnés à huit mois de prison par un tribunal le 5 août 2024.
Des peines d’inéligibilité à vie ont également été prononcées à l’encontre de Nizar Chaari, Abdellatif Mekki et Mourad Massaoudi pour les mêmes accusations de falsification de parrainages, illustrant l’usage de poursuites arbitraires destinées à assurer la réélection du président Kaïs Saied.
Une dynamique similaire a touché des figures du parti Ennahda, avec l’arrestation d’au moins 97 membres de cette formation politique les 12 et 13 septembre 2024, incluant son secrétaire général, Ajmi Ourimi, et d’autres membres clés du parti islamiste.
Ces arrestations et les condamnations qui en résultent témoignent non seulement de l’utilisation d’accusations arbitraires pour garantir la réélection du président Kaïs Saied, mais aussi de l’atmosphère de contrôle oppressif qui prévaut en Tunisie à l’approche de l’élection présidentielle. Ces décisions montrent clairement que les autorités s’appuient sur des restrictions arbitraires et des intimidations pour assurer la réélection de Saied lors du scrutin prévu le 6 octobre.
Le recul des libertés et l’érosion de l’État de droit
Le 2 septembre 2024, l’ISIE a publié une liste définitive de seulement trois candidats, dont Kaies Saied, Ayachi Zammel et Zouhair Maghzaoui, un ancien député de la gauche panarabiste qui avait soutenu le coup de force présidentiel du 25 juillet 2021. Cette sélection a exclu un large éventail de candidat.e.s de l’opposition, marquant une réduction drastique de la pluralité politique. En effet, l’ISIE a rejeté 14 candidatures au total, limitant ainsi considérablement le choix électoral des Tunisiens. À titre de comparaison, lors de la campagne présidentielle de 2019, l’ISIE avait approuvé 26 candidat.e.s issu.e.s de diverses affiliations politiques, illustrant un processus électoral plus ouvert et compétitif. Ce resserrement du champ politique accentue la manipulation des institutions électorales pour garantir la réélection de Saied, au détriment d’un processus démocratique transparent et inclusif.
Des arrestations arbitraires et prolongées : une atteinte aux droits humains
Les arrestations arbitraires et les détentions prolongées de figures de l’opposition violent gravement les droits humains et la liberté d’association. Ces pratiques s’inscrivent dans une stratégie de répression visant à étouffer toute opposition et à garantir une élection présidentielle sans véritable concurrence. À la longue liste de personnalités arrêtées s’ajoutent celles d’Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre, et Lotfi Mraihi, président de l’Union populaire républicaine, emprisonnés pour des motifs politiques. Leurs candidatures à la présidentielle ont été rejetées le 29 août 2024 sur des bases contestables. Les autorités tunisiennes ont ainsi sapé l’intégrité de l’élection, réduisant ce processus démocratique à une simple formalité.
Une menace pour la démocratie et l’État de droit
Les arrestations arbitraires, les condamnations politiques et les ingérences dans le système judiciaire représentent une attaque explicite contre les piliers de la démocratie et de l’État de droit en Tunisie. Alors que le pays s’apprête à tenir une élection présidentielle cruciale, ces pratiques compromettent l’indépendance du processus électoral. Ce climat de répression mine gravement la confiance des citoyens envers ce processus, en compromettant sa crédibilité, son intégrité et sa sécurité.
Appel à la libération des prisonniers politiques et au respect des droits fondamentaux
À l’approche de l’élection présidentielle, les autorités tunisiennes doivent mettre fin à ce recul inquiétant des libertés et des droits humains. Elles doivent libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes détenues pour avoir exercé pacifiquement leurs droits, notamment les militant et les militantes de la société civile, les journalistes, les opposant.e.s politiques et les défenseur.e.s des droits humains. Il est impératif de rétablir l’indépendance du système judiciaire et de permettre aux médias et aux organisations de la société civile de mener librement leurs activités sans craindre de représailles. Pour bâtir un avenir démocratique durable en Tunisie, il est impératif de respecter en permanence les principes fondamentaux de justice, d’équité et de droits humains.