Mobilisation des mineurs : slogans populistes et montée du sentiment d’humiliation

Depuis le début des années 1920, le bassin minier tunisien a connu les premières tentatives d’organisation syndicale avec les syndicats de la Confédération Générale du Travail (CGT). Dès 1924, Mohamed Ali El Hammi a misé sur les mines de Gafsa en raison de leur poids démographique et du rôle qu’elles pouvaient jouer pour renforcer la position de la confédération tunisienne du travail (CGTT) sur la scène syndicale tunisienne. Après la fondation de l’UGTT en 1946, les syndicats miniers, sous la direction d’Ahmed Tlili, ont joué un rôle important dans la lutte armée pour l libération du pays.

Un engagement historique et une continuité de la mobilisation

Pendant l’ère de l’État national en 1956, les travailleurs miniers ont poursuivi leur lutte, participant aux grands conflits sociaux, tels que les événements du 26 janvier 1978 et l’insurrection du pain en janvier 1984. En 2008, une mobilisation collective menée par les syndicalistes a marqué une étape sociale, économique et politique cruciale, servant de précurseur à la révolution tunisienne de 2011. Ce mouvement a constitué une première fissure dans le régime autoritaire et a contribué à l’essor de la liberté après 2011.

Des sacrifices face à des conditions précaires

Malgré les sacrifices nationaux de la classe ouvrière minière, les travailleurs n’ont pas participé aux grèves sectorielles après la révolution tunisienne. Ils ont continué leur activité extractive, même pendant la pandémie de Covid-19. Cependant, après 2011, le 25 juillet 2021 et le 6 octobre 2024, le mineur tunisien demeure embourbé dans des conditions difficiles :

  • Travail dans les carrières sans garanties sanitaires ou environnementales.
  • Fragilité économique et psychologique.
  • Un statut légal qui perpétue l’humiliation, avec des indemnités dérisoires rappelant l’époque coloniale : une prime de logement de 25 dinars, une prime de présence de 80 millimes et une prime de lait de 6 dinars, sans compter l’absence d’indemnités pour les risques.
  • Réduction du rôle social de la Compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG), particulièrement depuis son intégration au programme d’ajustement structurel en 1986, accompagnée d’une augmentation du clientélisme et du favoritisme.

Un contexte de crise

Dans un contexte de crises économique, sociale, environnementale et sanitaire qui ont frappé les villages miniers, la production de phosphate a chuté de 8 millions de tonnes en 2010 à environ 2,3 à 3,7 millions de tonnes entre 2011 et 2022. Les travailleurs des mines de Gafsa (Redeyef, Om Larayes, Métlaoui et Moularès) ont organisé une grève les 25 et 26 décembre 2024 sous la direction de l’UGTT. Cette escalade a eu lieu après une série de mouvements tels que des sit-in, des grèves partielles et des correspondances adressées à l’autorité de tutelle, illustrant l’incapacité du pouvoir politique à résoudre les problèmes sociaux et nationaux. Au lieu de cela, le gouvernement a préféré des discours populistes empreints de promesses vides et dénués de programmes économiques cohérents.

Des engagements officiels sans résultats

Lors d’une réunion du Conseil national de sécurité le 26 avril 2023, supervisée par le président Kais Saied, il a été déclaré qu’une série d’études avaient été réalisées pour diagnostiquer la situation du bassin minier et qu’il fallait “redonner son éclat au bassin minier”. En visite à Redeyef le 13 juin 2023, le président a invité les citoyens à s’impliquer dans ce moment historique tout en rencontrant des manifestants dans les stations de lavage de phosphate. Pourtant, malgré ces visites et ce diagnostic, aucune amélioration tangible n’a été observée.

Une persistance des tensions et des inégalités

Les travailleurs miniers continuent de subir un sentiment de marginalisation, alimenté par le désengagement du pouvoir politique vis-à-vis de ses responsabilités économiques et sociales. Les accords conclus entre les syndicats et la direction de la CPG en 2023 ont été annulés, renforçant la frustration des travailleurs. Lors des négociations de décembre 2024, les syndicalistes ont dénoncé l’absence de solutions concrètes, conduisant à l’échec des discussions et au déclenchement de la grève générale.

Une crise structurelle et historique

Malgré un discours officiel insistant sur la justice sociale et la souveraineté, la réalité du bassin minier reste marquée par :

  • Des pratiques économiques extractives et néocoloniales, qui exploitent les ressources tout en négligeant la dignité des travailleurs.
  • Une marginalisation des populations locales, reflétant un capitalisme racialisé.
  • Une crise qui n’est pas passagère mais structurelle, exacerbée par des politiques technocratiques improvisées et des discours populistes de droite.

Perspectives

La mémoire collective du bassin minier, riche en récits de lutte, alimente une dynamique de conflit qui devrait s’intensifier face à la répression et à la persistance des pratiques autoritaires. La solution ne réside pas dans des promesses vaines, mais dans une transformation structurelle des modèles économiques et politiques, respectueuse des droits des travailleurs et des communautés locales.

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