L’accord signé le 16 juillet 2023 entre l’Union européenne (UE) et la Tunisie suscite de nombreuses préoccupations, notamment concernant son pilier « Migration et mobilité ». Ce volet prévoit des actions visant à réduire la migration irrégulière, à travers un financement européen destiné à soutenir la gestion des frontières tunisiennes, la lutte contre le trafic d’êtres humains et le renforcement des contrôles frontaliers.
Ce protocole d’accord (MoU), bien que présenté comme une avancée stratégique dans la gestion des flux migratoires, met en lumière des zones d’ombre, notamment en matière de respect des droits humains et de transparence. La Médiatrice européenne, Emily O’Reilly, joue un rôle clé dans cette controverse en soulignant les lacunes et les manquements de la Commission européenne dans la mise en œuvre de cet accord.
Un accord controversé
L’accord, doté d’un budget de 150 millions d’euros, prévoit le renforcement des frontières tunisiennes et la lutte contre la migration irrégulière. Pourtant, il intervient dans un contexte de dégradation des droits humains en Tunisie, exacerbée par la réélection du président Kais Saied. Ce dernier est accusé d’adopter des mesures répressives envers les migrants subsahariens, accompagnées de discours ouvertement racistes.
Des révélations du Guardian ont documenté des abus graves, notamment des viols et des violences infligées par des membres des forces de sécurité tunisiennes qui bénéficient d’un financement européen, à l’encontre des migrants subsahariens, y compris contre des enfants et des femmes. Des preuves documentant ces abus systématiques ont été transmises à la Cour pénale internationale (CPI), soulevant des questions sur la responsabilité de l’UE dans le soutien apporté à des autorités accusées d’exactions.
L’absence d’évaluation d’impact sur les droits humains
Emily O’Reilly a pointé une omission majeure : l’absence d’une évaluation d’impact sur les droits humains (HRIA) avant la signature de l’accord. Une telle évaluation aurait permis d’identifier et d’atténuer les risques de violations des droits fondamentaux et de mettre en place des mesures pour les mitiger avant même le démarrage des actions prévues.
La Commission européenne, quant à elle, a préféré s’appuyer sur un « exercice de gestion des risques » pour la Tunisie, une procédure standard appliquée à tous les pays partenaires susceptibles de recevoir des financements de l’UE qui évalue les droits humains, tels que le respect de la démocratie, de l’état de droit et des droits fondamentaux. Malgré les engagements de l’UE envers la protection des droits fondamentaux, cette méthode est jugée insuffisante et non transparente par la Médiatrice au vu de l’absence de publication des conclusions de cet exercice. Cette opacité fragilise la crédibilité de l’UE et alimente les critiques sur son double discours en matière de droits humains, compromettant la transparence et l’efficacité des mesures de mitigation.
La surveillance et la responsabilité en question
La Médiatrice a également mis en lumière le manque de mécanismes concrets pour surveiller l’impact des projets financés par l’UE dans le cadre du MoU. Bien que la Commission exige des rapports réguliers de ses partenaires, comme l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ou le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), ces mesures semblent insuffisantes au vu des risques identifiés.
La médiatrice Emily O’Reilly a ainsi recommandé la mise en place :
- De critères explicites pour suspendre les financements en cas de violations avérées des droits humains.
- De mécanismes de plainte accessibles aux victimes.
- D’une transparence accrue, incluant la publication des informations liées aux projets financés.
Les implications pour l’UE
Cette affaire expose un dilemme central : concilier la gestion des flux migratoires avec le respect des engagements de l’UE en matière de droits humains. Alors que la Tunisie devient un partenaire clé pour endiguer les migrations vers l’Europe, les lacunes dans la mise en œuvre de l’accord mettent en lumière des contradictions.
Les critiques adressées à la Commission soulignent la nécessité d’une approche plus éthique et transparente. La Médiatrice insiste sur l’importance de ne pas sacrifier les droits fondamentaux sur l’autel de la coopération migratoire. Dans un contexte où l’UE se positionne comme un acteur mondial en matière de droits humains, ses partenariats stratégiques doivent refléter ces valeurs.
Le protocole d’accord UE-Tunisie illustre les tensions croissantes entre objectifs migratoires et impératifs éthiques. Si la gestion des migrations reste une priorité pour l’UE, elle ne peut se faire au détriment des droits humains. Les recommandations de la Médiatrice européenne soulignent l’urgence de réformer les pratiques actuelles pour garantir que les politiques migratoires soient conformes aux principes fondamentaux de l’Union. Ce manque de transparence risque d’entacher la crédibilité de l’UE en tant qu’acteur mondial des droits humains.