Être légaliste vaut 12 ans de prison
Le régime de Kaïs Saïed avance à un rythme aussi effréné qu’insensé dans l’absurdité de son acharnement judiciaire contre tous les dissidents. Une fois encore, il apparaît clairement que le seul stratagème de Kaïs Saïed pour préserver son emprise sur l’État et ses institutions est la création d’un désert politique, d’un vide ou d’un néant d’où aucune alternative politique ne serait possible.
L’appareil de répression s’est, une nouvelle fois, acharné contre Madame Abir Moussi, présidente du PDL (Parti destourien libre) et avocate inscrite au barreau de Tunis, poursuivie dans une affaire criminelle pour « attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement ».
Pour ce qui est des faits, le 3 octobre 2023, Madame Abir Moussi, en sa qualité de présidente du PDL et surtout d’avocate, s’est déplacée afin de déposer un recours gracieux contre des décrets présidentiels, attitude normale pour toute personne légaliste entendant contester un décret. Cette procédure est obligatoire avant de saisir le tribunal administratif pour abus de pouvoir, comme le prévoit l’article 35 de la loi n°40/1972 relative au tribunal administratif.
Confrontée au refus non motivé de lui fournir une décharge, elle a fait appel à un huissier, lequel, comme elle et un autre avocat, s’est vu interdire l’accès à l’entrée du bureau d’ordre du palais présidentiel. Elle a alors ouvert sa caméra et diffusé un direct, à la suite duquel elle a été arrêtée, avant qu’un déluge d’affaires pénales ne s’abatte sur elle.
L’instruction, qui a ordonné un mandat d’arrêt à son encontre, ainsi que la chambre d’accusation et la Cour de cassation, cumulent les anomalies procédurales et les violations des droits de la défense. Avocate aguerrie, elle a bien compris qu’il ne s’agissait pas de simples procédures judiciaires, mais bien d’oukases politiques visant à l’exclure de la scène publique. Me Moussi a boycotté le tribunal et demandé qu’aucun avocat ne vienne participer à cette mauvaise parodie de justice, d’autant plus qu’elle est déjà détenue sans base légale.
De la composition du tribunal au déroulement de l’audience, la chambre criminelle du tribunal de première instance de Tunis était tout sauf un tribunal neutre, indépendant et compétent. Le maintien de la qualification criminelle et la sentence prononcée en sont la preuve : douze ans de prison. Une sentence qui défie la raison et la logique.
Politiquement, cette sentence absurde sonne comme une réplique aux institutions onusiennes qui se sont penchées sur le cas d’Abir Moussi, notamment le Groupe de travail sur la détention arbitraire et son avis n°61/2024.
Le CRLDHT :
- Réaffirme son soutien et sa solidarité indéfectibles avec Me Abir Moussi, ainsi qu’avec toutes les prisonnières et tous les prisonniers politiques et d’opinion, et avec tout justiciable dont le droit à un procès équitable est violé, et appelle à leur libération immédiate.
- Condamne la vile mission dans laquelle la justice tunisienne est enrôlée par le régime en place et appelle à l’indépendance de la justice.
- Exhorte toutes les Tunisiennes et tous les Tunisiens à tirer les leçons de leur histoire et à venir à bout de ce régime liberticide, incarnation de la contre-révolution de l’État policier.