Le 25 juillet 1957, il y a 67 ans, l’Assemblée nationale constituante proclamait l’établissement de la République tunisienne, mettant fin au règne des beys husseinites. Mais cette république a été confrontée à de nombreux défis depuis son établissement en raison du monopole du pouvoir, de l’autoritarisme et de la répression. Habib Bourguiba a tenté d’établir une “république moderne”, mais son régime absolu a vidé de leur substance les valeurs sur lesquelles elle repose. Puis Zine El Abidine Ben Ali a accentué la tendance autoritaire, transformant la république en un État policier, La révolution de 2011 a constitué un jalon historique important marquant la restauration de la république. Malgré ses nombreuses lacunes, faiblesses et les performances médiocres des partis et gouvernements successifs, elle a renoué avec ses principes de liberté et de démocratie. Puis la Constitution consensuelle de 2014 est venue instaurer une nouvelle étape dans la vie de la république, en consacrant dans la plupart de ses chapitres des valeurs et des principes conformes à ses fondements.
Jusqu’à ce que Kaïs Saïed prenne ses mesures exceptionnelles, le 25 juillet 2021, qui se sont révélées non pas destinées à réformer, mais à monopoliser le pouvoir et à frapper toutes les institutions de régulation et de contrôle à commencer par le Parlement, organe élu au suffrage universel, en passant par toutes les autres institutions indépendantes telles que Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Dans ce nouvel Etat autoritaire, le CSM, pour avoir manifesté son attachement à l’indépendance du pouvoir judiciaire, est aujourd’hui réduit à une fonction aux ordres du pouvoir exécutif, condamnant injustement à des peines sévères opposants et critiques du régime. Cette situation répressive a conduit à l’embastillement de dirigeants politiques de l’opposition sur la base d’accusations graves et à l’incarcération de la plupart d’entre eux sans procès, en violation de toutes les lois qui encadrent les périodes légales de détention provisoire. Kaïs Saïed ne s’est pas contenté d’emprisonner des opposants politiques, mais aussi, par le biais du décret 54, de poursuivre tout citoyen qui ose critiquer le régime ou se plaindre d’une mesure arbitraire. Ainsi, et aussi légère soit la critique émise, des dizaines de journalistes et de citoyen(ne)s ordinaires se retrouvent emprisonné(e)s sur la base d’une déclaration ou d’une phrase que le régime actuel a jugé représenter « quelque chose de monstrueux portant atteinte à la dignité et à l’autorité du président ».
Même ceux qui croyaient que l’initiative du président, le 25 juillet 2021, mettrait fin au chaos politique et que Kaïs Saïed, compte tenu de sa formation de constitutionnaliste approfondirait les principes de la république et de l’État de droit, ont été surpris de voir celui-ci, après une année de mesures exceptionnelles, rédiger une constitution qui renforce ses propres prérogatives, abolit toutes les institutions de régulation, s’accorde une immunité absolue et dénature toutes les valeurs sur lesquelles reposait la Constitution de 2014, telles que la liberté d’expression, la liberté de croyance, la liberté de conscience, et l’égalité entre les hommes et les femmes. Atteindre les objectifs de l’Islam devient même la référence dans la république de Kais Saïd avec toute l’ambiguïté et la confusion que cette expression comporte. …
Aujourd’hui, nous sommes en droit de nous demander ce qu’il reste de la République et des principes de la Révolution que celle-ci a tenté de restaurer, face à l’arbitraire judiciaire qui a touché la plupart des hommes et femmes politiques, des professionnels des médias et des citoyens et face au retour de la peur et de la terreur dans la vie publique. Quelle crédibilité accorder à une élection présidentielle dans ces circonstances, surtout après que le président ait décidé de mettre en prison la plupart de ses rivaux ou de les neutraliser en les accablant d’accusations fallacieuses afin de les dissuader de se présenter ? Quelle crédibilité possède une élection présidentielle dans une république où l’Instance électorale, d’ instance
réellement indépendante à l’origine, est devenue une instance soumise aux ordres au président, appliquant ses instructions et imposant ses conditions ?
En dressant ce diagnostic douloureux, nous ne cherchons pas à nous décourager, à nous résigner et à accepter le statu quo, mais au contraire à mobiliser les forces civiles et politiques par-delà le passé avec ses divisions et ses erreurs. Il s’agit de reprendre l’initiative afin d’imposer une situation politique et civile qui réalise le rêve des générations de combattants et d’activistes qui ont rêvé d’une République digne de ce nom et ont fait de lourds sacrifices pour consolider ses principes, le rêve de ceux qui, enfermés dans la prison de la tyrannie pour avoir simplement exercé leur droit d’expression et de critique, le rêve d’un peuple qui, près de sept décennies plus tard, aspire toujours à la liberté, à la démocratie et à la justice.
– Ensemble pour la libération de tous les prisonniers politiques, de conscience et d’expression.
– Ensemble pour la restauration de la république ternie par le règne du pouvoir personnel.
– Ensemble pour un climat politique et social qui mette fin au despotisme et permette la construction d’ un Etat fondé sur des institutions réellement démocratiques.