Dynamiques des mouvements protestataires en Tunisie au printemps 2025

D’après les données du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, le mois de mars 2025 a été marqué par une baisse significative de l’activité protestataire. Alors que le mois de janvier avait recensé 483 mobilisations, et février 432, mars n’en comptait qu’environ 217. Ce ralentissement s’explique principalement par la concomitance du mois de Ramadan, une période qui, historiquement, ne favorise guère les mobilisations collectives en Tunisie. Toutefois, dès avril, le rythme des protestations a connu un regain notable, atteignant près de 422 actions.

Les formes et les revendications de ces mouvements se sont révélées aussi diverses que leurs contextes. L’événement le plus marquant du mois d’avril fut sans conteste la mobilisation dans la ville de Mazzouna, déclenchée par l’effondrement du mur d’une école primaire ayant coûté la vie à trois enfants et blessé plusieurs autres. Ce drame a ravivé un sentiment ancien de marginalisation dans cette région, perçue comme reléguée à la périphérie des priorités de l’État. La colère suscitée par cette tragédie a nourri un sentiment d’injustice profond et ravivé la mémoire des inégalités territoriales.

Au-delà de ce cas emblématique, les revendications socio-économiques et professionnelles ont structuré une grande partie de la dynamique protestataire durant le mois d’avril, avec une intensification au cours du mois de mai. Ces mobilisations ont été alimentées, en grande partie, par les promesses récurrentes du président Kaïs Saïed, souvent perçues comme des catalyseurs du mécontentement. Son discours, fortement imprégné de rhétorique populiste, tend à dénoncer les lenteurs administratives comme étant les principaux freins à son projet de justice sociale. Ce décalage entre les déclarations présidentielles et la capacité réelle de mise en œuvre des ministères et des administrations a placé les institutions publiques au cœur du conflit, à l’image des protestations menées par les enseignants contractuels en attente de titularisation.

Le mois de mai a été particulièrement dense, avec une variété de formes d’engagement allant jusqu’à la grève de la faim, observée devant le Parlement à Bardo par les agents du Centre international de la promotion des personnes en situation de handicap. Parallèlement, la fragilité des services publics, notamment dans les secteurs du transport et de la santé, a alimenté une série de protestations dans plusieurs régions, soulignant une détérioration croissante des conditions de vie.

L’une des séquences les plus importantes du mois de mai a été marquée par la contestation entourant la loi relative à la suppression du recours à la sous-traitance. Après son adoption le 21 mai, des centaines de travailleurs précaires ont manifesté, dénonçant l’absence de clarté sur les modalités d’application et le retard dans la publication des décrets d’exécution. Malgré les déclarations du gouvernement affirmant sa volonté de mise en œuvre, l’absence d’informations concrètes a nourri l’inquiétude et la mobilisation.

Sur le plan environnemental, les revendications liées à l’accès à l’eau potable et à un environnement sain ont également occupé le devant de la scène. À Redeyef, des habitants ont manifesté devant le siège de la délégation locale pour réclamer l’eau, le droit à un cadre de vie sain et des opportunités d’emploi. À Gabès, une mobilisation d’ampleur a eu lieu le 23 mai, appelant à la justice environnementale et à la souveraineté énergétique. Ces mobilisations, comme tant d’autres, se sont heurtées à l’indifférence ou à la répression de l’État, allant jusqu’à des arrestations, notamment de deux jeunes et d’un mineur à la suite du mouvement de Gabès.

Les mobilisations à dimension juridique et politique n’ont pas été en reste. Le verdict rendu dans l’affaire dite du complot contre la sûreté de l’État, au mois d’avril, a provoqué une série de manifestations dénonçant la sévérité des peines et réclamant la libération des détenus politiques. L’arrestation de l’ancien magistrat Ahmed Souab a cristallisé une indignation transpartisane, donnant lieu à une convergence inédite d’acteurs politiques dans des mobilisations communes.

Par ailleurs, des rassemblements ont été organisés, comme celui du 4 mai au parc Sidi Abdelaziz à La Marsa, pour exiger la libération des défenseurs des droits humains poursuivis dans le cadre de leur engagement auprès des personnes migrantes.

Sur le plan international, la cause palestinienne a également continué à mobiliser la rue, confirmant sa place centrale dans l’imaginaire protestataire national.

Ce qui distingue particulièrement les mobilisations d’avril et, surtout, celles de mai 2025, c’est le rôle central du discours présidentiel dans le déclenchement des tensions sociales. Par une stratégie politique habile, Kaïs Saïed désigne l’administration comme l’obstacle à son projet de transformation sociale, tout en s’en dissociant. Cette mise en accusation a eu pour effet de transformer les institutions publiques en lieux symboliques et concrets de confrontation, là où se s’est concentré la majorité des manifestations.

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