DE QUELQUES CARENCES DANS LA LOI DE FINANCE 2025

La promulgation de la loi de finances 2025, adoptée le 2 décembre 2024 par l’Assemblée des représentants du peuple et le 4 décembre 2024 par l’Assemblée des régions et districts, puis publiée au Journal officiel de la République tunisienne, illustre des lacunes méthodologiques et institutionnelles préoccupantes. La loi n°48-2024, au-delà de sa portée économique et fiscale immédiate, révèle des failles structurelles majeures : un manque de vision stratégique cohérente et une persistance alarmante de l’absence d’un budget destiné à la création de la Cour constitutionnelle comme d’ailleurs de la lutte contre la corruption. Ces trois dimensions soulignent non seulement l’absence d’un projet réformateur solide mais également un affaiblissement délibéré des garanties institutionnelles essentielles à l’État de droit.

Absence d’une vision stratégique : une navigation à vue :

La loi de finances ne se limite pas à un exercice comptable annuel. Elle constitue une déclaration d’intentions et une feuille de route pour répondre aux défis structurels, économiques, sociaux et institutionnels. Or, la loi de finances 2025 illustre une gestion fragmentée et désordonnée, loin d’un cadre stratégique global.

  • Des mesures ponctuelles et superficielles :

Les mesures adoptées dans cette loi se contentent de répondre à des problématiques immédiates sans adresser leurs causes profondes :

  • Allocations aux petits éleveurs : accorder des crédits à cette catégorie économique (article 32) ne résout pas le problème structurel de la faible rentabilité de leur activité. En l’absence de politiques sectorielles visant à restructurer le secteur de l’élevage, cette initiative risque de se transformer en un endettement supplémentaire sans bénéfice durable.
  • Création de fonds sociaux : la mise en place d’un Fonds d’assurance contre la perte d’emploi (article 17) ou d’un Fonds de protection sociale pour les travailleuses agricoles (article 15) illustre une volonté de répondre à des problématiques sociales urgentes, mais ces mesures restent dépendantes de l’élaboration de décrets d’application souvent retardés et de leur mise en œuvre effective.

Ces initiatives témoignent d’un pragmatisme minimaliste, sans lien avec une vision de long terme, ce qui limite leur impact et leur efficacité.

  • Une fiscalité étouffante et déséquilibrée

La charge fiscale en Tunisie est devenue insupportable pour les citoyens comme pour les entreprises. La loi de finances 2025 accentue cette pression, ignorant les principes de justice fiscale pourtant inscrits dans la Constitution de 2022 :

  • Augmentation de la fiscalité directe et indirecte : les politiques fiscales adoptées ne tiennent pas compte de la précarité croissante des contribuables et risquent d’étouffer encore davantage les initiatives économiques.
  • Réduction des subventions : la diminution des budgets alloués aux matières premières et aux produits de première nécessité, sous prétexte de rationalisation des dépenses, aggrave les pénuries et exacerbe les tensions sociales.

Cette approche purement extractive illustre un décalage frappant entre les discours officiels de justice sociale et la réalité des mesures mises en place.

  • Une persistance dans l’illusion des sociétés communautaires

L’obstination du régime à promouvoir les sociétés communautaires comme modèle économique clé (article 56) soulève des interrogations. Empiriquement, ces structures se sont révélées inefficaces et leur généralisation reflète davantage une stratégie politique visant à créer des réseaux clientélistes qu’une solution sérieuse aux défis économiques.

Absence de budget pour a Cour constitutionnelle : un manquement institutionnel grave

La persistance de l’absence de budget pour la Cour constitutionnelle illustre une volonté délibérée de maintenir un statu quo institutionnel favorable à la concentration des pouvoirs entre les mains du président.

  • Une obligation internationale ignorée : la Tunisie est tenue, par la décision de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples en 2022, de rendre opérationnelle la Cour constitutionnelle dans un délai de deux ans. Pourtant, aucune mesure n’a été prise pour respecter cette obligation, confirmant l’absence de volonté politique de doter le pays d’un organe de contrôle constitutionnel effectif.
  • Renforcement de l’autoritarisme : la Constitution de 2022, bien qu’elle ait réduit l’indépendance de la Cour constitutionnelle, prévoit néanmoins son existence. Toutefois, le refus persistant de lui allouer un budget souligne la volonté du régime de s’affranchir de tout contre-pouvoir institutionnel. Ce blocage consolide un système hyper-présidentialiste, où l’interprétation des textes et leur application restent sous le contrôle exclusif de l’exécutif.
  • Un recul historique pour l’État de droit : l’absence de la Cour constitutionnelle perpétue une tradition tunisienne de méfiance envers le contrôle de constitutionnalité. Sous Bourguiba, cette question était un tabou. Sous Ben Ali, le Conseil constitutionnel se limitait à un rôle formel sans impact réel. Aujourd’hui, le régime du président Kais Saied réintroduit cette absence de contrôle, mais dans un contexte où les violations des droits fondamentaux sont exacerbées.

Absence de mesures anticorruption : une incohérence criante

L’absence de dispositions significatives concernant la lutte contre la corruption dans la loi de finances 2025 soulève une contradiction majeure entre les discours officiels et les actes concrets. Ce manquement, dans un contexte où le thème de la corruption constitue une constante dans les discours présidentiels, met en évidence une approche superficielle et inefficace face à un enjeu central pour le redressement économique et institutionnel du pays.

  • Une récurrence dans le discours politique : le président de la République et son administration ont fait de la lutte contre la corruption un pilier de leur communication publique. Les dénonciations fréquentes des “mafias économiques”, des “réseaux d’intérêts obscurs” et des pratiques corruptives sont omniprésentes. Toutefois, ces déclarations, souvent utilisées à des fins populistes, ne se traduisent pas par des politiques ou des mesures concrètes dans les instruments fondamentaux comme la loi de finances.
  • Une loi de finances déconnectée des priorités anticorruption : la loi de finances 2025 n’intègre aucune mesure claire ou ambitieuse visant à combattre la corruption ou à améliorer la transparence dans la gestion des finances publiques. Pourtant, des réformes dans ce domaine sont indispensables pour
  • Une administration cynique et passive : l’administration chargée de préparer la loi de finances semble avoir adopté une posture cynique, en n’insérant pas de dispositions anticorruptions qui auraient pu apparaître comme des engagements vides de sens en l’absence d’une volonté politique réelle. Ce choix reflète un certain pragmatisme mais traduit également un renoncement face à un problème fondamental, contribuant ainsi à pérenniser un système opaque et inefficace.
  • Un impact direct sur le climat d’investissement : L’absence de mesures concrètes pour lutter contre ce fléau dans la loi de finances démontre un manque d’intérêt pour créer un environnement propice à l’investissement et au développement économique. Cette carence envoie un signal négatif à la communauté internationale et aux partenaires économiques de la Tunisie.

Pour que la lutte contre la corruption devienne autre chose qu’un simple slogan politique, il est impératif d’intégrer des mécanismes clairs et contraignants dans les textes législatifs et budgétaires, de renforcer les institutions indépendantes de contrôle et de promouvoir une culture de la transparence et de l’intégrité dans la gestion publique. Sans cela, la corruption continuera de miner les efforts de développement et d’aggraver les inégalités sociales en Tunisie.

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