Communiqué de presse

En ce jour de l’indépendance, la Tunisie renie ses engagements et anéantit une autre garantie pour le peuple tunisien en matière de droits humains

En ce jour symbolique du 20 mars, célébrant l’indépendance de la Tunisie et la souveraineté de son peuple, nous apprenons avec une profonde consternation que les autorités en place en Tunisie ont décidé de retirer leur déclaration sous l’article 34(6) du Protocole de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.

Cette décision prive désormais les citoyen-ne-s tunisien-ne-s et les ONG de défense du droit de saisir directement la Cour africaine pour alléguer les violations des droits fondamentaux commises par l’État tunisien et demander les remèdes et les indemnisations auxquels ils ont droit. Elle constitue un manquement grave à la Constitution de 2022, notamment tout son chapitre II, et un reniement ignoble des engagements pris par la Tunisie en matière de justice et de protection des droits humains, découlant de la ratification de la Charte africaine des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Un engagement historique réduit à néant

Le parcours de la Tunisie au sein de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples témoigne d’un engagement progressif en faveur de la justice internationale :

  • 9 juin 1998 : lors du sommet de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) à Ouagadougou (Burkina Faso), le Protocole annexé à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création de la Cour africaine est adopté.
  • 7 août 2007 : la Tunisie ratifie ce Protocole, intégrant ainsi officiellement la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples dans son cadre juridique.
  • 02 juin 2017 : dans une avancée majeure et révolutionnaire pour un pays arabe, musulman et maghrébin, la Tunisie dépose sa déclaration sous l’article 34(6), permettant aux individus et aux ONG de saisir directement la Cour pour dénoncer des violations des droits humains. À cette époque, seuls 10 autres États africains avaient adopté cette déclaration, faisant de la Tunisie un modèle en matière de justice internationale en Afrique du Nord.

En choisissant de faire marche arrière, les autorités tunisiennes annulent ces avancées et rejettent une justice indépendante qui aurait pu constituer une protection subsidiaire pour les citoyens contre les abus du pouvoir.

Une décision lourde de conséquences

Le retrait de la déclaration sous l’article 34(6) affaiblit gravement la protection des droits humains en Tunisie:

  • Privation d’un recours international : les victimes de violations des droits humains ne pourront plus se tourner vers la Cour africaine lorsque la justice tunisienne s’avère incapable de remédier aux violations des droits de l’homme ou les commet elle-même.
  • Renforcement de l’impunité du pouvoir : ce retrait facilite l’échappatoire face aux arrestations arbitraires, à la répression des opposants et des journalistes, ainsi qu’aux restrictions croissantes des libertés publiques, surtout avec la série de procès politiques et ceux visant la liberté d’expression et d’association, verrouillant ainsi l’espace public.
  • Abandon des migrants subsahariens aux violences : il empêche également toute action en justice pour dénoncer les expulsions brutales, agressions racistes et traitements inhumains dont sont victimes de nombreux migrants en Tunisie.

Un repli honteux et une tentative d’échapper à la justice

Le retrait de la déclaration sous l’article 34(6) n’est pas une simple décision technique, mais un choix politique visant à se soustraire aux mécanismes de reddition de comptes. Il intervient à un moment où la Tunisie est de plus en plus critiquée pour ses dérives autoritaires et la multiplication des violations des droits humains.

Le CRLDHT rappelle que ce retrait ne prendra effet qu’en mars 2026, selon la jurisprudence de la Cour africaine. Nous appelons toutes les victimes de violations des droits humains à déposer des plaintes auprès de la Cour avant cette échéance, afin d’empêcher que ce retrait ne serve de bouclier à l’impunité du régime. Le CRLDHT reste à leur disposition pour leur fournir le conseil juridique approprié.

Il nous reste la justice internationale

Si les autorités en place en Tunisie pensent pouvoir échapper à leurs responsabilités en restreignant l’accès à la Cour africaine, nous leur rappelons que la justice internationale ne se limite pas à cette Cour.

Le Comité des droits de l’homme des Nations unies, la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes les plus graves, les mécanismes des rapporteurs spéciaux et de pression des Nations unies et de l’Union européenne, ainsi que la compétence universelle des tribunaux nationaux restent autant de voies pour dénoncer les violations commises en Tunisie et exiger des comptes. Le CRLDHT n’hésitera pas à saisir ces instances et à assister les victimes dans leurs démarches.

Le CRLDHT réaffirme son engagement à poursuivre le combat pour que les responsables des abus et des crimes ne restent pas impunis.

Appel à la mobilisation

En ce jour de l’indépendance, qui devrait être une célébration de la souveraineté et de la justice, nous refusons d’accepter ce retour en arrière.

Le CRLDHT appelle :

  • Le gouvernement tunisien à revenir immédiatement sur cette décision et à respecter ses engagements internationaux.
  • L’Union africaine et les instances internationales à exercer des pressions diplomatiques et politiques pour empêcher cette régression.
  • Les organisations de défense des droits humains à se mobiliser contre cette tentative de priver les citoyens tunisiens d’un accès à la justice.
  • Les citoyens tunisiens et les migrants victimes d’abus à déposer massivement des requêtes devant la Cour africaine avant mars 2026.

En ce jour du 20 mars, nous rappelons que la véritable indépendance ne peut exister sans justice, sans responsabilité et sans respect des droits fondamentaux.

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