Tunisair : encore une crise, toujours le même scénario présidentiel

Depuis février-mars 2025, la compagnie nationale Tunisair traverse une nouvelle phase critique. Vols annulés, retards en cascade, colère croissante des passagers, dysfonctionnements internes… autant de signes d’un service public à bout de souffle. Mais plus que la crise elle-même, c’est la manière dont elle est gérée – ou plutôt instrumentalisée – qui retient l’attention.

Une fois de plus, la réaction présidentielle est intervenue tardivement, dans un contexte de tension déjà généralisée. Le ministère des Transports a limogé plusieurs responsables, dont Habib Mekki, président du conseil d’administration, remplacé par Tarak Bouazizi, et confié la direction technique à l’ingénieur Issam Hamam. Ces décisions, qualifiées de mesures de « sécurisation du fonctionnement », se sont accompagnées de menaces disciplinaires envers les chefs d’escale. Mais cette agitation institutionnelle masque mal une réalité plus profonde : Tunisair est l’otage d’un pouvoir qui instrumentalise les défaillances au lieu de les corriger.

Une intervention présidentielle tardive et théâtrale

Début mars, le président Kaïs Saïed convoque un « plan de redressement ». Il accuse la compagnie d’avoir réduit sa flotte de 24 à 10 appareils, pointe des délais de maintenance anormalement longs (123 jours en Tunisie contre 10 ailleurs) et dénonce une qualité de service désastreuse. Mais derrière ces dénonciations, aucune réforme sérieuse, aucun projet global, juste une mise en scène de plus, fidèle à un mode opératoire désormais bien rodé.

Comme lors des pénuries de médicaments, des grèves dans l’enseignement supérieur ou de la crise des jeunes médecins, Kaïs Saïed surgit a posteriori, en posture de justicier solitaire, sans jamais associer les institutions concernées, ni proposer de solutions structurelles. Les crises deviennent des opportunités politiques, non des moments de transformation.

Une gouvernance du symptôme, pas de la solution

La gestion présidentielle de Tunisair incarne un pouvoir incapable d’anticiper, qui se contente de réagir de manière spectaculaire. Les décisions ne visent ni à planifier, ni à réformer, mais à préserver l’image d’un chef omniscient. À chaque crise, le même schéma : des limogeages rapides, des nominations loyalistes, des discours accusateurs,et un silence assourdissant sur les causes profondes.

Or, ces causes sont bien connues : un modèle économique affaibli, une dette massive, des infrastructures vétustes, un management miné par le clientélisme. Le dernier plan de redressement (2024) n’a apporté qu’une embellie marginale. Le PDG Khaled Chelly a été incarcéré dans des affaires de corruption. Et malgré cela, aucune remise en question de la chaîne de décision politique, aucun audit indépendant, aucune ouverture au dialogue avec les syndicats ou les salariés.

Des boucs émissaires à usage interne

Le limogeage de Mekki et les menaces envers les cadres techniques n’ont été qu’un écran de fumée. Car pendant qu’on sacrifie des fusibles, d’autres – plus proches du pouvoir – restent intouchables. Halima Ibrahim Khouaja, nommée directrice générale en décembre 2024 avec l’aval présidentiel, est toujours en poste. Pourtant, elle dirige Tunisair depuis le début de cette crise.

Plusieurs députés, y compris du camp présidentiel, s’interrogent : pourquoi cette sélectivité ? Pourquoi cette directrice, dont la nomination a suscité des critiques pour favoritisme, n’est-elle pas tenue responsable, alors que d’autres, moins exposés, sont écartés sans ménagement ? Parce qu’en haut lieu, la loyauté politique l’emporte sur la compétence.

Une crise révélatrice d’un système verrouillé

Tunisair ne souffre pas seulement d’une mauvaise gestion technique. Elle est le symptôme d’un État cadenassé, où les entreprises publiques sont dirigées sans transparence, sans contrôle parlementaire, sans participation des corps intermédiaires. Aucune réforme ne peut voir le jour dans un tel contexte, car toute décision réelle est centralisée entre les mains d’un président qui refuse toute co-responsabilité.

Le pouvoir agit seul, parle seul, nomme seul. Les syndicats sont ignorés, les usagers méprisés, les experts écartés. La politique anticorruption est instrumentalisée à des fins de purge ciblée. Ce n’est pas l’État qui affronte la crise : c’est le pouvoir qui se met en scène, en fabriquant l’illusion d’une action.

Sans rupture de méthode, Tunisair restera en crise

Tant que les crises seront traitées comme des outils de communication présidentielle, et non comme des appels à réforme, Tunisair ne sera ni redressée, ni sauvée. Les limogeages sélectifs et les opérations médiatiques ne résolvent rien. La seule voie crédible est celle d’une gouvernance démocratique, fondée sur la compétence, l’ouverture et la responsabilité partagée.

Mais cette voie suppose un changement radical de méthode : sortir de la verticalité autoritaire, cesser d’instrumentaliser les crises et replacer l’intérêt public au cœur de l’action. Sinon, la compagnie nationale ne fera que reproduire, encore et encore, le même crash en boucle.

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