La première audience du procès de Me Ahmed Souab, ancien juge administratif et avocat de la défense dans l’affaire dite du complot contre la sûreté de l’État, se tiendra devant la 5ᵉ chambre criminelle du pôle antiterroriste du tribunal de première instance de Tunis, le 31 octobre 2025.
Rappel des faits
À la sortie de l’audience du 18 avril 2025 dans l’affaire dite du complot contre la sûreté de l’État, Me Ahmed Souab, encore vêtu de sa robe, a pris la parole devant la presse pour dénoncer les dérives d’un procès devenu le symbole des atteintes à la justice sous le régime de Kaïs Saïed.
À la suite d’une descente et d’une perquisition hollywoodiennes à son domicile, Me Souab a été arrêté, puis placé en détention par mandat de dépôt émis par le juge d’instruction du pôle antiterroriste du tribunal de première instance de Tunis.
Quels fait sont imputés à Me Souab ?
Il ressort de l’arrêt de la chambre d’accusation que Me Souab est poursuivi en raison de ses déclarations publiques faites ce jour-là devant la Maison du barreau à Bab Bnet (Tunis), dans une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux.
Lors de l’instruction, les interrogatoires ont porté sur le passage où il affirmait :
« Aujourd’hui est un scandale et un opprobre que portera la magistrature et les magistrats. Je le dis et je le redis : l’état de la magistrature est une destruction massive, à l’instar de ce qui se passe à Gaza. C’est un avis qui n’engage que moi. Il me paraît que les couteaux ne sont pas seulement sur les détenus, mais aussi sur le président de la chambre qui va juger… beaucoup de dossiers », tout en accompagnant ses propos d’un geste de la main mimant une entaille à la gorge.
De quoi l’accuse-t-on ?
L’ordonnance de clôture d’instruction, confirmée par la chambre d’accusation et la Cour de cassation, estime que le dossier contient suffisamment d’éléments pour accuser l’avocat des faits suivants :
- Diffusion et publication d’informations au profit d’une entente terroriste ou de personnes liées à des crimes terroristes, dans le but d’aider à les commettre, de les dissimuler, d’en tirer profit ou d’assurer l’impunité de leurs auteurs, en vue de contraindre une personne physique ou morale à agir ou à s’abstenir.
- Mise en danger de personnes protégées, en révélant délibérément des données permettant de les identifier.
- Atteinte à autrui via les réseaux publics de télécommunication, notamment par la production, diffusion ou publication de fausses nouvelles, données, rumeurs ou documents falsifiés, dans le but de nuire aux droits d’autrui, à la sûreté publique, à la défense nationale ou de semer la terreur.
- Utilisation de systèmes d’information pour publier des données diffamatoires ou incitant à la haine, en particulier contre des agents publics.
- Menaces criminelles en lien avec des crimes terroristes.
L’absurdité de la poursuite
Il va sans dire que les propos de Me Souab étaient allégoriques, la métaphore des « couteaux sur les gorges » exprimant la pression pesant sur la magistrature et notamment sur le président de la 5ᵉ chambre criminelle — magistrat déjà cité dans plusieurs affaires, dont celle du yacht dérobé par le gendre de Ben Ali, traitée par la commission de lutte contre la corruption présidée à l’époque par le professeur Abdelfattah Amor.
Les faits étayent pourtant les propos de Me Souab :
- Le président de la chambre concernée a été désigné illégalement par simple note de service de la ministre de la Justice, quelques semaines avant le procès du complot contre la sûreté de l’État, en violation manifeste du principe d’indépendance de la magistrature.
- Le procès en question a connu des violations graves du Code de procédure pénale : les détenus ont été privés de comparaître devant la chambre saisie, sur décision illégale de la présidente du tribunal et du procureur de la République, pourtant partie au procès.
- Il n’y a eu aucune audition d’experts, de témoins ou d’accusés, ni de plaidoiries, alors même que des pourvois en cassation et une demande de récusation étaient pendants.
- La ministre de la Justice elle-même a fini par confirmer implicitement la justesse des propos de Me Souab en mutant, par note de service, le président de chambre Lassad Chamakhi après l’affaire.
Malgré cela, la juge d’instruction Bassma Arouri et la chambre d’accusation ont retenu contre Me Souab des charges de menace terroriste et d’entente terroriste unipersonnelle (!).
Selon elles, le geste du doigt sur la gorge ne serait pas une métaphore, mais un ordre adressé à des terroristes inconnus pour égorger le président de la chambre criminelle.
La Cour de cassation, en validant ces violations de procédure et de fond, a scellé l’un des épisodes les plus surréalistes de la répression judiciaire actuelle.
A quoi s’attende le 31 octobre 2025 ?
Le modus operandi de la chambre criminelle du pôle antiterroriste dans ce type d’affaire est désormais bien connu : personne ne se fait d’illusions.
Me Souab ne bénéficiera probablement ni d’un procès équitable, ni du respect des droits pourtant garantis par la Constitution, les conventions internationales et la loi tunisienne.
Il est possible qu’il ne soit pas conduit à l’audience, laquelle pourrait se dérouler à distance depuis la prison. Il est tout aussi probable qu’il ne soit pas entendu, car ce sont précisément ses paroles, sa lucidité et son éloquence qui ont ébranlé le régime, au point d’entraîner contre lui une vengeance judiciaire.
La défense sait parfaitement qu’il ne s’agit pas seulement de défendre un homme, mais de défendre un symbole :
celui d’une lutte contre l’arbitraire, la tyrannie et la violation des droits humains.
Car tant que Kaïs Saïed confisque la République, aucun non-lieu ni liberté provisoire n’est envisageable pour Me Ahmed Souab.
Son procès incarne la résistance d’un peuple privé de ses rêves d’une République démocratique, juste et sociale, fondée sur les libertés et les droits.
Le CRLDHT
- Réitère tout son soutien et sa solidarité à Me Ahmed Souab et à sa famille, ainsi qu’à travers eux à tous les détenus d’opinion et prisonniers politiques et à leurs proches.
- Appelle à la mobilisation du plus grand nombre d’avocats tunisiens et étrangers, de médias, de journalistes et de militants de la société civile pour assister à cette audience et transformer ce procès en un moment fort de lutte pour les droits humains et l’État de droit en Tunisie.
- Exhorte le peuple tunisien, en particulier la jeunesse, à veiller sur ses droits et sur sa République, afin de stopper l’hémorragie destructrice de ce régime populiste et de se réapproprier pacifiquement et civiquement leur patrie.