La date d’une assemblée générale ordinaire de l’Ordre national des avocats : un choix politique

Qui aurait cru que la fixation de la date de l’assemblée générale ordinaire de l’Ordre national des avocats de Tunisie deviendrait une question politique ?

Depuis la promulgation du décret-loi 79/2011 – et même avant, sous le régime de la loi de 1989 – jamais la date de l’AG ordinaire n’avait été un objet de différend… jusqu’en 2022. Le problème est loin d’être juridique, il est résolument politique – pour ne pas dire politicien.

Juridiquement, c’est l’article 51 du décret-loi 79/2011 relatif à l’organisation de la profession d’avocat qui règle cette question. Il reprend les dispositions de l’article 50 de la loi de 1989 :
« À la fin de chaque année judiciaire, le bâtonnier ou, à défaut, le secrétaire général, fixe la date de la tenue de l’assemblée générale ordinaire et y convoque tous les avocats en exercice… »
Il s’agit d’un texte de procédure clair qui ne nécessite aucune interprétation. L’année judiciaire s’achève le 16 juillet et recommence le 16 septembre. Contrairement à l’année civile, elle n’inclut pas la vacance judiciaire ; elle s’y oppose même. Le décret-loi fait bien la distinction entre année judiciaire et année civile. Par exemple, l’article 57 précise que le mandat des représentants des structures est de trois ans (et non trois années judiciaires).
Cette clarté a permis une application fluide du texte pendant des décennies : vers la mi-juillet, ou même avant parfois, l’assemblée générale ordinaire de l’Ordre se tenait, qu’elle soit élective ou non.

Ce texte « sans histoire » allait pourtant en avoir une.

Avant la fin de l’année judiciaire 2022, les avocats ont constaté que le bâtonnier Brahim Bouderbela – dont le mandat de trois ans arrivait à terme – s’abstenait de fixer la date de l’AG ordinaire, qui devait être élective. Il déclara vouloir organiser l’AG en septembre, arguant qu’il s’agissait, selon lui, de la fin de l’année judiciaire. Il affirma que tous ses prédécesseurs, conseils de l’ordre, avocats et même la jurisprudence, s’étaient trompés dans l’application du texte, en y incluant indûment la vacance judiciaire.

Évidemment, ni l’expérience ni le niveau de Me Bouderbela, ni celui de ses soutiens, ne peuvent faire croire à une simple erreur d’interprétation. Le secrétaire général de l’Ordre à l’époque – qui n’était autre que l’actuel bâtonnier Hatem Mziou – avait d’ailleurs publiquement contesté cette lecture manifestement erronée du texte.

Pourquoi ce comportement de Me Bouderbela ? La réponse se trouve dans le contexte politique de l’époque.

Me Bouderbela, comme la majorité du Conseil de l’ordre, avait soutenu le coup de force du 25 juillet 2021. Dès le 27 juillet, par communiqué, ils avaient prêté allégeance à Kaïs Saïed. Mais Bouderbela s’était montré particulièrement zélé. Il n’a pas bronché devant la régression méthodique de la profession, orchestrée par Kaïs Saïed : exclusion de l’Ordre des instances constitutionnelles, dissolution du Conseil supérieur de la magistrature – que Bouderbela a défendue –, et silence total face à la comparution de confrères et consœurs devant des tribunaux militaires. Il a affiché un aplatissement devant le pouvoir jamais atteint par aucun bâtonnier avant lui.

Au début de l’été 2022, après avoir présidé une sous-commission chargée des affaires économiques pour la rédaction d’une Constitution purement formelle, Bouderbela voulait prolonger ses loyaux services pendant la campagne du référendum constitutionnel du 25 juillet. Il espérait peut-être aussi que Kaïs Saïed modifie le décret-loi 79/2011 pour lui permettre de briguer un second mandat. Il avait donc tout intérêt à repousser les élections, à s’octroyer une prolongation de mandat – en contradiction avec sa propre pratique, puisqu’il avait tenu l’AG ordinaire de 2021 en juillet.

Certains avocats n’ont pas toléré cette manœuvre. Ils ont intenté une action en référé pour demander la désignation d’une commission ad hoc composée d’anciens bâtonniers afin d’assurer la tenue de l’AG. Les pro-Kaïs Saïed – Hatem Mziou en tête – ont crié à l’ingérence dans les affaires de la profession. La demande a été retirée après un appel des anciens bâtonniers à une résolution interne du conflit. Bouderbela a alors instrumentalisé l’affaire, se posant en victime d’un complot politique, monopolisant les médias – les contradicteurs étant interdits de parole.

Une autre procédure au fond traîne toujours devant la cour d’appel de Tunis, car le bâtonnier Hatem Mziou refuse de verser les documents de l’Ordre au dossier.

Récompensé par la présidence de l’Assemblée des représentants du peuple, Brahim Bouderbela est devenu le modèle du bâtonnier actuel, Hatem Mziou. La profession a alors atteint un niveau inédit de discrédit et de violations. Me Mziou est même allé jusqu’à déclarer, dans un communiqué officiel, que la réussite du processus du 25 juillet 2021 était la priorité du bâtonnier et du conseil de l’ordre.

Dans ses apparitions médiatiques, Me Mziou ne cesse de louer Kaïs Saïed et d’exprimer sa confiance envers lui. La dénonciation des violations de la Constitution de 2014, ou même de celle de 2022, ainsi que des atteintes aux droits humains, est pour lui une instrumentalisation politique de la profession. Il s’abstient d’en faire état.

Insensible à l’ignominie ambiante, le bâtonnier reste sourd :

  • au nombre historique d’avocats détenus ou poursuivis pour leurs opinions ou leur parole libre, dénoncé par les instances internationales,
  • aux violations grotesques des droits à un procès équitable,
  • à la dégradation de la justice, du quotidien des avocats, de leurs garanties d’exercice,
  • à la violation même de la Maison de l’avocat.

Rien ne semble entamer son opportunisme. Il maintient le rite de l’AG en septembre, comme gage de loyauté au régime et à son prédécesseur Bouderbela. Il a d’ailleurs tenu l’AG en septembre l’an dernier, et la prochaine aura aussi lieu en septembre — si tant est qu’elle ait lieu. Ce bâtonnier espère également une modification du décret-loi en sa faveur pour se représenter. Un projet de loi en ce sens est déjà déposé à l’ARP. Ce pourrait être sa part de l’agape — aussi pernicieuse soit-elle pour la profession et ses membres.

Reste à savoir si la profession rompra avec cette trahison de ses principes et de son histoire. Les vils services du bâtonnier finiront-ils en queue de poisson ? Ou bien le règne de la dynastie des bâtonniers-sbires de Carthage a-t-il encore de beaux jours devant lui ?
… Patience dans l’azur.

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