La paradoxale situation de Samir Taieb :  sans sous, on reste dans le trou !

Si l’incarcération dans les prisons est inéluctable quand elle corrobore, au moins superficiellement, le récit présidentiel de Kais Saied et sa prétendue guerre sans merci contre la corruption, en sortir est une autre question.

La logique juridique et judiciaire exige que la détention soit l’exception, fondée sur des éléments factuels et moraux proportionnés à l’accusation et à l’infraction imputée à l’intéressé. Cette logique est désormais totalement balayée par une justice tunisienne placée sous le joug de Kais Saied et de sa ministre de la Justice : une simple instruction venue d’en haut suffit pour qu’un mandat de dépôt soit délivré à la hâte par le premier juge d’instruction saisi. Quant à l’enquête ou à l’instruction — censées être menées à charge et à décharge — elles peuvent s’éterniser sans justification, pourvu que l’objectif politique soit atteint : mettre un opposant derrière les barreaux.

M. Samir Taieb, ancien ministre de l’Agriculture et universitaire, était devenu une cible idéale à sacrifier pour le régime de Kais Saied. Un mandat de dépôt a été émis contre lui en novembre 2024, avant même qu’il ne soit auditionné, et depuis il attend une expertise judiciaire plus lente que le corbeau de Noé. Or cette expertise confirme clairement que le juge d’instruction ne dispose d’aucun élément sérieux de culpabilité ; mais peu importe : les impératifs de propagande du régime priment manifestement sur l’application de la loi.

Sur le fond de l’affaire, on impute à M. Taieb le fait d’avoir entériné une décision du conseil de l’OTD (Office des Terres Domaniales) concernant l’ajournement du recouvrement de dettes pour des agriculteurs — une procédure administrative de routine, surtout que le ministre est une autorité de tutelle et n’est pas compétent pour prendre la décision que l’Office a régulièrement prise selon les aléas des saisons. Parmi les prétendus bénéficiaires de la décision de l’OTD, l’homme d’affaires Abdelaziz Makhloufi, détenu lui aussi dans la même affaire et libéré provisoirement d’une façon soudaine et louche. Il est évident que ce dernier a le droit à la liberté dans une affaire aussi absurde que fictive que celle-là, mais il est presque évident qu’il a été victime de chantage, puisque sa demande avait été refusée quelques jours auparavant avant l’intervention louche de certains membres de la famille de Kais Saied(ce qui rappelle les agissements Trabelssia famille de Ben Ali). Cette libération provisoire a été obtenue contre le paiement d’un montant astrologique à titre de dépôt, et bien sûr ce n’était que la partie émergée de l’iceberg.

Si les conditions de libération provisoire de M. Makhloufi — à juste titre d’ailleurs — sont constatées, elles le seraient a priori pour M. Samir Taieb et pour bien d’autres détenus dans l’affaire, dont l’implication est secondaire et dont les infractions supposées restent, même à ce jour, non prouvées.

Le juge d’instruction Anis Maraoui, qui n’est hélas qu’un porte-parole du régime, n’est pas de cet avis : même si le prétendu suspect principal a été libéré provisoirement, le suspect pour des actes indirects n’est pas éligible à cette liberté, alors même que sa prétendue culpabilité n’est pas encore prouvée par une expertise qui ne s’achèvera apparemment pas dans un futur proche.

Il est évident qu’il ne s’agit pas d’une simple caution, mais d’une véritable rançon — une somme que M. Taieb n’a ni les moyens de payer, ni la possibilité d’assumer, contrairement au « deal » exigé et versé à la bande.

Le CRLDHT :

  • S’indigne de la détention arbitraire infligée à M. Samir Taieb et aux autres détenus de cette affaire, incarcérés uniquement parce qu’ils n’ont pas les moyens de s’acquitter de la rançon exigée.
  • Condamne une justice à géométrie variable, aux vérités multiples, et des magistrats mis au pas, transformés en véritables corsaires du pouvoir.
  • Appelle à la libération immédiate de M. Samir Taieb et des autres détenus dans l’affaire, ainsi qu’au respect de leurs droits à un procès équitable.
  • Estime que de telles aberrations ne résolvent en rien les problèmes profonds et structurels de la corruption en Tunisie ; elles ne font au contraire que les enraciner davantage.
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